Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 28.djvu/93

Cette page a été validée par deux contributeurs.
89
DE LA GUERRE SOCIALE.

ce pays des souvenirs redevenu nouveau. Je ne sais trop ce qu’il en rapportera, mais j’ai confiance. En attendant, il me semble à la réflexion que, dans ce fond de l’antiquité immortelle, rien ne représente mieux Colomba qu’Électre ; oui, l’Électre de Sophocle pleurant tout le jour son père et attendant Oreste. Oreste, il est vrai, a moins de peine à se décider qu’Orso, et arrive tout enflammé, ne respirant que meurtre. Le chœur aussi, cet excellent chœur débonnaire, est plutôt disposé à apaiser Électre, et il ne joue pas le rôle de provocateur, il ne donne pas le rimbecco à la manière corse. Voilà des différences[1]. Pourtant, dans la pièce grecque également, tout parle de vengeance, d’immolation : l’oracle d’Apollon, consulté par Oreste, l’a ordonnée. Némésis ou vendetta, qu’importent les noms ? c’est la même inspiration fatale et comme la même muse. Électre, sous le vestibule du palais de Mycènes, erre depuis des années, criant et hurlant sa douleur ; c’est une voceratrice sublime d’attente et d’attitude. Elle se compare dans sa plainte au rossignol qui a perdu ses petits ; elle s’écrie à qui la veut consoler : « Insensé qui peut oublier ses parens morts de la male mort ! Ce qui convient à mon cœur, c’est l’oiseau gémissant qui pleure Itys, toujours Itys. Hélas ! hélas ! ô Niobé, qui as tant souffert, tu es pour moi comme un dieu, ô toi qui, dans ton sépulcre de pierre, toujours pleures ! » Eh bien ! qu’est-ce là autre chose que l’inspiration constante et même les images familières de l’orpheline Colomba, plus calme d’ailleurs dans sa triste sérénité ? Écoutons-la : « — Un jour, un jour de printemps, — une palombe se posa sur un arbre voisin, — et entendit le chant de la jeune fille : — Jeune fille, dit-elle, tu ne pleures pas seule : — un cruel épervier m’a ravi ma compagne… » Qu’on relise le reste de la ballata, on a précisément l’image du rossignol d’Électre. Et cet autre refrain qu’à l’oreille d’Orso tous les échos murmurent, ne le cède à rien en opiniâtre et fixe clameur : « — À mon fils, mon fils en lointain pays, — gardez ma croix et ma chemise sanglante… — Il me faut la main qui a tiré, — l’œil qui a visé, — le cœur qui a pensé… » La scène avec les Barricini autour de la bière du pauvre Pietri ne ferait pas un indigne pendant, pour le tragique, à ce qui se passe là-bas au pied du tombeau d’Agamemnon.

On se rappelle la joie fière, le rayonnement orgueilleux de Colomba emmenant et comme reconquérant son frère ; on le compare-

  1. Dans les Coéphores d’Eschyle, qui sont le même sujet, le chœur se montre plus excitant.