Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 28.djvu/925

Cette page a été validée par deux contributeurs.
921
HISTOIRE DIPLOMATIQUE DE LA QUESTION D’ORIENT.

opiniâtre est arrivé, je suis prêt à combattre jusqu’à mon dernier soupir, et mes enfans aussi. Mon armée de Syrie est encore considérable ; Damas, Alep, toutes les principales villes sont en mon pouvoir ; mon armée du Hedjaz est en marche, une partie est déjà au Caire, le reste y sera sous peu. Les cheiks influens du Liban partent pour la montagne et me répondent de ramener les Druses et les Maronites à la soumission. J’ai quarante bâtimens prêts à prendre la mer au premier signal de votre majesté. J’espère donc que personne ne se méprendra sur les véritables motifs qui m’inspirent la démarche que je fais aujourd’hui. Personne ne croira que c’est la peur qui me fait agir ; j’ai pour moi toute ma vie pour répondre à une pareille accusation. Il y a quinze jours encore, quand toute mon existence était menacée, on aurait pu voir de la faiblesse dans ma conduite, si j’avais cédé ; mais aujourd’hui que mon existence politique est sauvée par la déclaration de la France, je ne risque que peu de chose à prolonger la guerre. Non, ce ne sont pas les forces qu’on déploie contre moi qui m’effraient. Ce qui m’effraie, c’est d’être cause d’une guerre générale ; c’est d’entraîner la France, à qui je dois tant, dans une guerre qui n’aurait d’autre but que mes intérêts personnels. Dans cette circonstance, je viens m’adresser à votre majesté : la reconnaissance m’en faisait un devoir, et, d’ailleurs, j’ai pour le roi des Français l’admiration, la confiance que sa sagesse et ses lumières inspirent au monde. Je viens mettre mon sort entre ses mains. Quelle que soit la décision du roi, je l’accepterai avec reconnaissance, pourvu que votre majesté veuille bien prendre part au traité qui interviendra entre les grandes puissances pour régler ma destinée. Enfin, quoi qu’il arrive, je prie le roi de me permettre de lui dire que ma reconnaissance pour lui et pour la France sera éternelle dans mon cœur, que je la léguerai à mes enfans et à mes petits-enfans comme un devoir sacré. »

Cette lettre surprit M. Guizot au milieu de la discussion engagée devant les chambres. Elle arrivait trop tard. Le pacha implorait la France et lui faisait hommage, en quelque sorte, de son pouvoir, au moment où la France l’avait déjà livré. « La seule réponse qu’on lui donnera, dit quelque part lord Granville dans une dépêche à lord Palmerston[1], ce sera de renouveler les avis que M. Cochelet a reçu ordre de lui transmettre, et qui pressent le pacha d’accéder aux conditions que l’amiral Stopford a été chargé de lui offrir[2]. » Il est vrai

  1. Lord Granville à lord Palmerston, Paris, 30 novembre.
  2. Le récit de lord Granville explique et confirme en partie les paroles que M. Guizot a prononcées dans la discussion de l’adresse.

    « Des ordres ont été transmis à l’amiral Stopford pour qu’il envoyât au pacha un officier chargé de lui dire que, s’il consentait à cesser les hostilités et à rendre la flotte, les quatre puissances s’engageaient à demander pour lui à la Porte le pachalik héréditaire de l’Égypte et à le lui obtenir. »

    On peut rectifier, par les dépêches déjà citées, l’opinion de M. Guizot. Les puis-