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HISTOIRE DIPLOMATIQUE DE LA QUESTION D’ORIENT.

sances, et le sacrifice qu’il faisait en notre nom était assez grand pour que l’étranger lui en sût quelque gré. M. Guizot l’a espéré lui-même. Il a cru, dans la sincérité de ses convictions, que les puissances européennes accorderaient à un cabinet qui se dévouait à la paix ce qu’elles avaient refusé à un cabinet qui se préparait à la guerre. M. Guizot s’est trompé, ou plutôt on l’a trompé. Lord Palmerston, et avec lord Palmerston les représentans des autres cabinets, lui ont refusé même ce qu’ils venaient d’offrir à M. Thiers. Plus le langage de la France est devenu pacifique, et plus le langage des puissances est resté froid et hautain. Les preuves de cette politique sans noblesse et sans courage se pressent sous ma plume ; je n’aurai que l’embarras du choix.

On remarquera d’abord que la dépêche du 15 octobre, concession que M. Thiers avait jugée insuffisante[1], fut rétractée en quelque sorte, comme une concession trop libérale, à l’avènement de M. Guizot. Je ne reviendrai pas sur la dépêche subséquente du 2 novembre que tout le monde connaît, et dans laquelle lord Palmerston, sous prétexte de répondre à M. Thiers, qui n’était plus ministre, écartait la garantie donnée par la France à Méhémet-Ali. En voici toutefois la conclusion :

« L’étendue des limites dans lesquelles il peut être nécessaire de renfermer l’autorité déléguée de Méhémet-Ali, afin de rendre probable qu’il soit à l’avenir un sujet obéissant au lieu d’être un sujet rebelle, et pour qu’il devienne par conséquent une source de puissance au lieu d’être une cause de faiblesse pour l’empire ottoman, est un point sur lequel les opinions peuvent différer, et je n’ai pas à discuter cette question. Mais le gouvernement de sa majesté pense que, quelles que soient les opinions des puissances étrangères à cet égard, de telles opinions ne peuvent servir de règle qu’aux conseils que ces puissances donnent au sultan ou à l’étendue de l’assistance qu’elles seraient disposées à

  1. « M. Thiers me dit que, sans donner une réponse officielle à ma communication, il ne voulait pas différer de m’exprimer la satisfaction qu’il avait éprouvée en entendant le langage amical du gouvernement anglais. Il aurait voulu apercevoir, dans la substance de cette communication, quelque ouverture d’arrangement pour la question égyptienne ; mais il ne voyait pas, me dit-il, le progrès que faisait faire vers ce but la dépêche de votre seigneurie à lord Ponsonby. Méhémet-Ali étant en possession de la Syrie entière, à l’exception de quelques bicoques de la côte, on ne pouvait pas attendre de lui qu’il se soumît aux conditions auxquelles les puissances conseillaient à la Porte de le réintégrer dans son pachalik. Si l’on avait fait de l’acceptation de l’arrangement territorial stipulé dans le traité de juillet la condition de sa réinstallation, Méhémet-Ali, se fiant à la générosité du sultan du soin d’accorder un pachalik de plus à un de ses fils, aurait pu être amené à y consentir. » (Dépêche de lord Granville à lord Palmerston, 23 octobre.)