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« J’étais à Auteuil samedi soir, M. Thiers me dit que cette barbare destruction de la ville commerçante et prospère de Beyrouth avait été accomplie avant que le sultan eût répondu aux propositions que le pacha lui avait faites, à la suggestion et par l’influence de la France, et que le bombardement, en même temps qu’il était un acte positif de violence contre le pacha, était un acte de violence morale contre la France. « La France, dit-il, a donné assez de preuves de son désintéressement et de sa patience ; il y a cependant des limites aux mesures militaires des puissances, que la France ne leur permettrait pas de franchir. » Il ajouta alors avec solennité qu’aucun ministère en France, quelle que fût sa couleur, ne pourrait tolérer que l’on expulsât Méhémet-Ali de l’Égypte. « Je crois que la guerre n’est pas improbable. » (Dépêche de lord Granville, 5 octobre.)

Faut-il ajouter que M. Bulwer, dans ses dépêches, entretenait quotidiennement lord Palmerston des prétendus projets que l’on discutait dans le conseil des ministres, et l’avertissait tantôt que nous allions saisir les îles Baléares, tantôt que nous avions la pensée de nous emparer de Candie ?

Ainsi donc, si le langage de M. Guizot pouvait rassurer les puissances, celui de M. Thiers devait les alarmer. Les puissances ont craint la guerre un moment, et elles n’ont cessé de la craindre que lorsqu’elles ont compris que M. Thiers lui-même ne comptait plus sur la durée du cabinet qu’il présidait. On a beaucoup trop vanté, à ce propos, l’indifférence avec laquelle lord Palmerston aurait appris nos armemens. Je vais essayer de l’expliquer.

Lord Palmerston écrivait à lord Granville, à la date du 4 août :

« La dépêche de votre excellence du 1er août, renfermant le Moniteur de ce jour avec les ordonnances qui lèvent un contingent additionnel de troupes et de matelots, a été reçue dans mes bureaux.

« Cette mesure, qu’aucun procédé de la part des quatre puissances n’a provoquée, et qui n’est motivée par aucune menace réelle ou possible contre la France, ne peut être considérée que comme une menace de la France, et par conséquent comme un affront gratuit qu’elle fait aux quatre cours.

« Cependant le gouvernement de sa majesté n’a pas l’intention de le faire remarquer, de quelque manière que ce soit ; il ne se propose ni de demander des explications au gouvernement français sur les motifs qui ont déterminé l’armement de cinq vaisseaux de ligne et la levée de dix mille marins, ni de convoquer le parlement pour obtenir un accroissement de forces navales et de nouveaux crédits.

« Prendre l’un ou l’autre de ces partis, ce serait donner à cet étrange procédé du gouvernement français une importance qu’il ne mérite pas. Le gouvernement de sa majesté poursuivra sa politique sans avoir égard à ces armemens, et agira justement comme si aucun évènement de cette nature ne s’était