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le 17 juillet, lorsqu’on soupçonnait à Paris, sans le connaître encore, l’existence du traité :

« M. Thiers me dit qu’il avait eu des nouvelles d’un projet qui se tramait à Londres entre les quatre puissances. Si l’Angleterre, ajouta-t-il, tient cette conduite, ce ne sera pas certainement une cause d’hostilités immédiates ; mais il est impossible de dire ce qui peut arriver ultérieurement. La France devra se séparer de l’Angleterre, et se séparer avec éclat. Elle sera dans la nécessité d’accroître ses forces de terre et de mer, et il s’ensuivra un état d’irritation qui tôt ou tard amènera une de ces guerres qui ébranlent l’Europe.

Et plus tard, le 20 juillet, lorsque le fait du traité fut connu :

« M. Tiers me répondit : « Ce n’est pas le moment de demander ni de donner des explications, l’alliance de la France et de l’Angleterre est rompue. M. Guizot a reçu la nouvelle officielle qu’un arrangement avait été conclu par les quatre puissances, auquel on ne nous a pas même invités à accéder. Cette circonstance n’a pas une très grande signification, et je n’y vois qu’une pure affaire de forme ; c’est du fond même que je me plains plus sérieusement. Je ne puis pas comprendre une alliance qui subsiste pour les petites questions, et une séparation pour les grandes. Si l’Angleterre doit se séparer de nous dans la question d’Orient, cette séparation sera générale. La France, comme je l’ai déjà dit, s’isolera. Elle est confiante dans ses forces, avec d’autant plus de raison que le gouvernement, dans cette affaire, a toute la population avec lui. Qu’une occasion se présente où la dignité et les intérêts de mon pays me commandent d’agir, je le ferai sans crainte et avec décision. Je le regrette profondément ; mais je ne puis pas ne pas apercevoir dans l’état des affaires, tel qu’il s’annonce à moi, des éventualités qui peuvent troubler la paix de l’Europe. »

Enfin, dans le memorandum remis à lord Palmerston le 24 juillet, le gouvernement français parlait encore des dangers que pouvait faire naître l’exécution du traité, et il refusait positivement le concours moral qu’on lui avait demandé.

« Le concours moral de la France, dans une conduite commune, était une obligation de sa part. Il n’en est plus une dans la nouvelle situation où semblent vouloir se placer les puissances. La France ne peut plus être mue désormais que par ce qu’elle doit à la paix et ce qu’elle se doit à elle-même. »

On le voit, quand le ministre anglais parlait de sa confiance dans la paix, il avait la guerre devant lui ; quand il faisait un appel dérisoire à l’alliance française, il savait que cette alliance était rompue. Il trompait donc sciemment l’opinion publique ; il dérobait à la discussion un traité qui devait changer la situation de l’Angleterre et