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HISTOIRE DIPLOMATIQUE DE LA QUESTION D’ORIENT.

il avait soin de présenter la perspective d’une autre alliance, et disposait les intérêts ainsi que les esprits à se tourner vers le nord.

Ce discours, qui n’était, d’un bout à l’autre, qu’un mensonge adroit, suffit pour calmer les appréhensions du parlement. On s’en étonne aujourd’hui que les faits sont connus. Quoi de plus audacieux en effet que ce refus de soumettre à la chambre des communes, sous prétexte que les ratifications n’avaient pas été échangées et qu’elles étaient nécessaires pour donner au traité toute sa valeur, une convention que l’on exécutait sans attendre l’échange des ratifications ? Comme il fallait compter sur la crédulité de son auditoire pour lui faire entendre que les dissentimens qui avaient séparé la France de l’Angleterre étaient sans importance, lorsque des hommes tels que M. Hume et M. Leader[1] venaient exposer l’irritation que la nouvelle du traité avait produite en France, et quand chacun pouvait se dire que, sans des motifs de la plus haute gravité, l’intérêt qu’avaient les deux peuples à rester unis aurait sans doute triomphé de ces dissidences d’opinion ! Enfin, n’est-ce pas s’en prendre aux mots que de prétendre que l’Angleterre ne figurait pas dans la sainte-alliance, lorsque chacun sait que, de 1793 à 1815, elle a été l’ame de toutes les coalitions formées contre nous ? Les signataires du traité de Londres sont les mêmes puissances qui signèrent le traité de Chaumont ainsi que les traités de Vienne, et qui vomirent alors sur la France leurs armées combinées. Et quand nous voyons l’Angleterre, la Russie, la Prusse et l’Autriche se coaliser encore, on ne veut pas que nous évoquions les souvenirs de l’invasion !

Au moment où lord Palmerston se disait encore plein de confiance dans les dispositions amicales du gouvernement français, il avait lui-même la conscience de ses mauvais desseins contre la France, et il savait, par les dépêches de M. Bulwer, l’impression que la connaissance de ces projets hostiles avait excitée. M. Bulwer écrivait,

  1. « Cette considération (la conviction que la France avait été jouée par l’Angleterre) a provoqué cette amertume de langage, ce ressentiment de l’honneur insulté qui se manifeste dans la presse française à peu près tout entière. J’espère sincèrement que l’on n’a donné lieu à aucune émotion de ce genre, car il faut se rappeler que les journaux en France exercent une bien plus grande influence sur l’esprit du peuple que la presse chez nous. Ce ressentiment public ne paraît pas s’être manifesté contre les trois autres puissances, contre l’Autriche, la Prusse et la Russie ; il est dirigé exclusivement contre l’Angleterre, car la France s’imagine qu’il y a eu quelque chose comme un manque de foi dans les procédés dont on a usé à son égard, après une amitié de dix ans. » (Discours de M. Leader, séance des communes, 7 août 1840.)