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ditions à imposer à Méhémet-Ali, et concerter d’avance les moyens nécessaires pour obliger celui-ci à se soumettre à cet arrangement, que les puissances amies auront reconnu comme juste et comme irrévocable. »

Ce qui prouve que la démarche de Chékib-Effendi avait été concertée avec lord Palmerston, c’est que le secrétaire d’état des affaires étrangères, qui n’avait pas réuni ses collègues depuis plusieurs semaines[1], assembla sur-le-champ le conseil des ministres, et fit adopter les résolutions[2] qui devaient quelques jours plus tard être converties en articles du droit européen. Ce fut un moment solennel, une crise bien redoutable que celle où les membres du ministère whig donnèrent ainsi leur blanc-seing au plus téméraire d’entre eux pour déchirer cette alliance française qui les avait portés au pouvoir, et qui les y maintenait. Je suis tenté de croire cependant que les collègues de lord Palmerston ne sentirent pas toute la gravité de l’acte qu’il leur arrachait. Lui-même il n’avait pas prévu qu’une rupture avec la France entraînerait sa propre chute, et qu’il tomberait accablé sous le fardeau de ses funestes lauriers.

Le traité du 15 juillet 1840 comprend plusieurs engagemens distincts. La convention proprement dite est calquée, avec une grande fidélité, sur les propositions de M. de Brunnow. Elle ne fait pas mention de l’arrangement territorial, et se borne à définir le rôle qui doit échoir à chaque puissance dans les mesures coercitives dirigées contre Méhémet-Ali. Le préambule déclare qu’il s’agit de prévenir l’effusion du sang entre musulmans ; c’est pour cela que l’on fait marcher des armées, que l’on met les vaisseaux à la voile, et que l’on va tirer le canon.

L’acte séparé, annexé à la convention, détermine l’étendue des territoires que l’on abandonne à Méhémet-Ali, à savoir l’Égypte à titre héréditaire, et la partie méridionale de la Syrie, y compris la place d’Acre, sa vie durant. Une clause ridicule était attachée à ces concessions déjà si limitées. Les puissances annonçaient que Méhémet-Ali aurait dix jours pour accepter les conditions qui lui étaient imposées. À l’expiration de ces dix jours, l’on devait retirer l’offre du pachalik et de la ville d’Acre ; et si le vice-roi persistait dans ses refus, après un second délai de dix jours, le sultan se considérait comme libre de refuser l’hérédité de l’Égypte à Méhémet-Ali. Le

  1. Voir la dépêche de M. Guizot du 11 juillet 1840.
  2. La date de ce conseil est indiquée dans un discours de M. Thiers ; c’est le 8 juillet.