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Il résulte donc du témoignage des agens eux-mêmes de lord Palmerston que la France n’a pas cherché à négocier l’arrangement direct, bien qu’elle eût assurément le droit de le faire. Mais l’Angleterre avait-elle le droit de s’y opposer ainsi qu’elle l’a fait ? Consultons encore les précédens.

Le premier conseil d’entrer, sans intermédiaire, en arrangement avec la Porte, fut donné à Méhémet-Ali, le 14 juillet 1839, dans une entrevue solennelle, par les consuls-généraux d’Angleterre, d’Autriche, de Prusse et de Russie ; le consul français, M. Cochelet, était absent et leur avait délégué ses pouvoirs. Le passage suivant est extrait du procès-verbal de cet entretien, qui se trouve au nombre des documens soumis au parlement anglais.

« Passant en outre à la situation générale des affaires, nous lui dîmes que les représentans des grandes puissances, dans le but d’éviter jusqu’au dernier moment une intervention armée, et désirant la solution pacifique de la question orientale, l’engageaient sérieusement à s’arranger à l’amiable avec le sultan ; que déjà sa hautesse venait de lui donner un témoignage éclatant de sa magnanimité, en lui concédant l’hérédité de l’Égypte ; que c’était maintenant au pacha à faire preuve de bonne volonté et de soumission envers son souverain, et à hâter le dénouement paisible de cette lutte ; qu’à cet effet le renvoi immédiat de la flotte serait le gage le plus palpable de sa loyauté. »

Méhémet-Ali résistait d’abord à ce conseil ; mais, après deux jours de discussion, il céda et remit à Akif-Effendi une lettre qui contenait ses propositions au divan. Le divan était bien disposé, car le reiss-effendi avait dit à lord Ponsonby, le 17 juillet : « Il convient à la Porte d’arranger ses affaires, comme des musulmans doivent agir entre eux, et d’éviter l’intervention des Européens. C’est pourquoi des conditions plus acceptables seront offertes à Méhémet-Ali[1]. » Cependant les propositions que les consuls européens avaient conseillé à Méhémet-Ali d’adresser à la Porte et auxquelles la Porte paraissait vouloir souscrire, les ambassadeurs européens lui défendirent de les accepter, en signifiant au divan la note collective du 27 juillet. Ne pourrait-on pas en conclure ou que la note collective a été une singulière inconséquence, ou que le conseil collectif du 14 juillet était un piége tendu à la bonne foi du pacha ?

On a déjà vu, dans le cours de ce récit, que la Russie avait désa-

  1. Dépêche de lord Beauvale à lord Palmerston, Vienne, 30 juillet 1839.