Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 28.djvu/880

Cette page a été validée par deux contributeurs.
876
REVUE DES DEUX MONDES.

le même nom, et qu’ils se pénètrent de bonne heure de cette pensée que, bien qu’appliqués à des travaux divers, ils sont tous des enfans de la même patrie et contribuent tous au même résultat, je veux dire la grandeur et la prospérité de la France. Ce ne sera pas là un des moindres résultats de la mesure ingénieuse et toute pratique que le ministre de l’instruction publique a proposée à la sanction du roi, et qui va être organisée comme essai dans vingt-deux villes.

Eh bien ! disons-le à l’honneur du pays, cette mesure, qui peut avoir pour l’instruction, pour la moralité et l’avenir des classes industrielles de si importans résultats, a été hautement approuvée par des journaux qui certes ne militent pas sous la même bannière. Ils ont su, en présence d’un intérêt si grave et si sacré, imposer silence à la politique et n’écouter que la justice. C’est dire au ministère que tout ce qu’il proposera aux chambres dans l’intérêt bien entendu des classes laborieuses, pour leur instruction, pour leur éducation, ne rencontrera pas d’opposition. On ne demandera pas aux projets d’où ils viennent, mais ce qu’ils sont. Nous espérons que M. Villemain ne l’oubliera pas pour le budget des salles d’asile et de l’instruction primaire, et que M. Cunin-Gridaine y trouvera un motif de ne pas retarder l’organisation des conseils de prud’hommes.


— La Comédie-Française a donné avant-hier la première représentation de Une Chaîne, comédie en cinq actes, en prose. Le succès a été complet : unanimité d’applaudissemens. Jamais M. Scribe n’a mieux montré combien son esprit est fécond en ressources ingénieuses, en combinaisons délicates et en artifices dramatiques, combien il se plaît à créer des situations périlleuses et d’une incroyable audace, uniquement pour avoir le plaisir de s’en tirer sain et sauf. C’est un homme qui vous saisit et vous contraint à marcher, à courir avec lui sur la crête d’un précipice ; il se balance sur l’abîme ; de temps en temps il feint de chanceler, de glisser ; on s’écrie : Nous sommes perdus ! Point. Il s’accroche à un brin d’herbe, à une feuille, à un fétu qui échappait à vos regards ; il se relève, il est sauvé ; il continue sa route, prêt à recommencer de nouvelles feintes, et parvenu en lieu de sûreté, c’est-à-dire au dénouement, il vous regarde et semble vous dire avec un sourire moqueur : Ce n’est pas plus difficile que cela ! vous en êtes pour vos frais d’épouvante, mais c’est justement la frayeur qui fait le plaisir.

Cette pièce jouée avec beaucoup d’ensemble par tous les acteurs, et par quelques-uns avec un véritable talent, paraît destinée à la vogue de la Camaraderie et du Verre d’eau. Ce triomphe de l’esprit et de l’habileté est-il en même temps celui de la bonne morale ? Ce sera une question à débattre dans l’examen détaillé de cet ouvrage, remarquable à tant d’égards.


V. de Mars.