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Nous verrons si M. le ministre a enfin trouvé une solution à la question des bestiaux.

La campagne d’Alger est terminée. Elle a été heureuse. Sans obtenir les succès brillans et décisifs qu’on paraissait se promettre, M. Bugeaud a obtenu un succès d’estime. Cependant, si les choses restent sur le pied actuel, il ne faudra pas moins l’année prochaine cent mille hommes et cent millions. Dans quatre ou cinq ans, nous aurons dépensé en Afrique un milliard. Y aura-t-il sur le sol africain deux cents familles de véritables colons français ? Il est encore permis d’en douter. Nous espérons que les chambres prendront à cœur sérieusement la question de la colonisation. Il est par trop absurde de semer sur des pierres. C’est semer sur des pierres que d’employer en Afrique notre or et nos admirables soldats, si ces efforts ne servent pas en même temps à y établir une population européenne, nombreuse, robuste, laborieuse, qui puisse dans peu, aidée de quelques garnisons, se défendre elle-même contre les incursions des barbares. L’idée de plier les tribus africaines à notre civilisation ne supporte pas l’examen. Il ne faut certes pas songer à les exterminer, mais il faut que l’établissement de fortes colonies leur fasse sentir que notre domination en Afrique est une fatalité à laquelle il ne reste qu’à se soumettre. Alors, convaincus de leur impuissance, ils établiront avec nous des relations commerciales qui leur seront utiles ; ils nous aideront à pénétrer par le commerce dans l’intérieur de l’Afrique, et ceux qui se trouvent dans l’enceinte de notre empire, sans devenir des Français, seront du moins d’assez paisibles sujets, suffisamment contenus par une police sévère, si nous savons y joindre une administration équitable et le respect de leurs croyances et de leurs habitudes. C’est surtout des Arabes qu’il est vrai de dire qu’il ne faut ni les craindre, ni les insulter. La violence les irrite ; la justice impuissante et débonnaire les excite ; une justice forte et inexorable les subjugue. C’est le fatum.

L’approche de la session préoccupe assez vivement les esprits. On se demande quelle sera l’attitude d’une chambre où la majorité se forme d’élémens si divers, et qui fixera cette année ses regards plus encore sur l’urne électorale que sur le banc des ministres. Le cabinet aura de graves difficultés à surmonter et pour les personnes et pour les choses.

Quant aux choses, les efforts de ses adversaires porteront surtout sur les affaires d’Espagne, sur les circulaires de M. Humann et de M. Martin du Nord, et sur la question des incompatibilités. Cette dernière question a été malheureusement ranimée par quelques nominations que le ministère lui-même ne défend guère et plus encore par les lenteurs qu’il apporte dans les choix, et par les étranges bruits auxquels ces délais et ces variations donnent naissance. On va droit au but, dit-on, lorsqu’on n’a d’autre souci que de choisir l’homme capable ; on hésite, on fait, on défait, on refait encore, on essaie mille combinaisons, les plus raisonnables comme les plus singulières, lorsqu’on ne songe qu’à la petite politique, aux votes de la chambre, aux intérêts du ministère. Il y a du vrai dans ces remarques. M. le garde-des-sceaux, en particulier, devrait bien nous apprendre les graves motifs qui lui défendent de