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se demande : Pourquoi ce grand effort pour une si facile entreprise ? Pourquoi démolir un édifice où il était si aisé de faire tous les changemens désirables ? N’est-ce qu’une imitation puérile de ce qui s’est fait ailleurs ? Nous ne le pensons pas. Il n’est pas, il faut le dire, du caractère genevois de se plier ainsi servilement et sans but aux exemples qu’on lui donne. Le Genevois est plutôt porté à résister à ces exemples qu’à s’y conformer. Lorsque chaque courrier, pour ainsi dire, apportait la nouvelle d’une révolution en Suisse, Genève, qui certes se connaît en révolutions (elle y avait acquis une sorte de célébrité au XVIIIe siècle), ne fit pas la sienne. L’exemple de ses confédérés la trouva froide et presque dédaigneuse. Elle la fait aujourd’hui, après avoir obtenu plus d’une réforme, et lorsque de nouvelles réformes (personne ne peut en douter) auraient été facilement accomplies. Pourquoi ce brusque changement de système ? Nous l’ignorons ; mais, réduits comme nous le sommes aux conjectures, nous sommes disposés à croire que l’évènement de Genève se rattache aux évènemens de la Suisse et à la marche des affaires au sein de la diète. Le parti radical vient de perdre en Suisse de puissans appuis ; les contre-révolutions de Zurich et de Lucerne lui ont enlevé deux suffrages importans, et en même temps deux vororts. Les cantons de Soleure et du Valais sont agités par le principe catholique, qui ne cessera de faire effort pour les rallier à lui dans la question d’Argovie. Ils résistent jusqu’ici ; mais qui peut garantir qu’ils résisteront toujours ? Le canton directeur, Berne, menacé ainsi et dans son influence et dans les intérêts de son parti, a dû naturellement chercher à faire, lui aussi, quelque conquête dans les cantons qui n’avaient pas encore pris de parti décisif dans la lutte. Il pouvait s’adresser en même temps au principe libéral et au principe protestant. Les deux principes se trouvant réunis à Genève, il n’est pas surprenant qu’on ait voulu porter au parti radical un secours qui peut contrebalancer la défection de Lucerne, et préparer peut-être l’adhésion franche et nette de quelques-uns des cantons qui hésitent encore.

Quoi qu’il en soit de cette conjecture, le fait est plus grave que ne pourrait le faire supposer la petitesse de l’état où il vient de s’accomplir. Ce n’est pas Genève seulement, c’est la Suisse qu’il faut considérer, la Suisse avec ses dissensions et ses troubles, et aussi avec les devoirs et la réserve que lui imposent sa position stratégique et sa neutralité. L’évènement de Genève peut faire pressentir la complète disparition d’un parti intermédiaire au sein de la diète. Le parti radical et le parti sarnien se trouveraient alors face à face, en phalanges serrées, ne laissant plus d’autre résultat possible qu’une victoire décisive pour l’un et une pleine défaite pour l’autre. Jusqu’ici un parti intermédiaire avait amorti les coups ; il n’y avait pas seulement en diète des auxiliaires, il y avait des médiateurs. Si cela n’imprimait pas aux affaires suisses une allure décidée, si cela rendait souvent la diète impuissante, si nous-mêmes nous avons plus d’une fois déploré la faiblesse où le pouvoir fédéral se trouvait réduit par une mauvaise organisation et par les désordres du pays, cela du moins prévenait les catastrophes et laissait toujours espérer que les