l’Europe est bien décidée à ne le rappeler à la vie que le jour où cette résurrection ne paraîtra pas compromettre la paix européenne. La paix européenne (les Orientaux ne peuvent pas l’ignorer) n’est pas une de ces idoles innocentes qui n’acceptent sur leurs autels que des tourterelles et des fleurs. C’est une déesse qui, malgré les bienfaits irrécusables qu’elle ne cesse de répandre sur ses adorateurs, a ses sévérités et ses cruautés. Son culte a fait répandre beaucoup de larmes, beaucoup de sang. Elle a dévoré la Pologne ; elle a mutilé le royaume de Grèce ; elle ravage aujourd’hui la Syrie ; elle veut que les chrétiens y restent exposés à toutes les vexations, à toutes les avanies d’une administration ignorante et cupide, à tous les outrages des hordes musulmanes. Si la Porte n’était frappée de cet aveuglement qui est le signe fatal de la décrépitude, elle profiterait de ces lenteurs, de ces délais pour rentrer en elle-même, pour sonder ses plaies, pour chercher s’il ne lui reste pas quelque principe de vie, quelque moyen d’échapper à la catastrophe dont elle est menacée tous les jours. Elle doit aujourd’hui connaître assez le siècle, l’Europe, l’esprit du temps, pour savoir qu’il n’y a pas de puissance humaine qui puisse faire subsister long-temps encore au seuil de l’Europe un empire barbare, aujourd’hui que l’Orient s’ouvre de tous côtés au génie européen, aujourd’hui que l’Europe étoufferait, si l’Asie lui était fermée. Napoléon, en débarquant en Égypte, révélait au monde étonné un avenir que l’Europe alors entrevoyait à peine, qui est aujourd’hui une éclatante vérité. Toute la question pour la Porte se résume donc dans ces mots : Les Osmanlis peuvent-ils avec leurs croyances, leur culte, leur organisation sociale, passer de la barbarie à la civilisation, à une civilisation qui leur soit propre, qui ne soit que le développement des germes que l’empire ottoman recèle dans son sein ? Si nous osions répondre, notre réponse ne serait pas douteuse. Le mahométisme a produit tout ce qu’il pouvait produire ; il n’est pas de sa nature progressif et indéfini, ce double caractère n’appartient qu’au christianisme. Les Osmanlis, comme les Juifs, ne peuvent pas franchir les limites où ils sont renfermés sans cesser d’être. Quoi qu’il en soit, si la réforme est possible, la Porte se suicide en ne la cherchant pas ; si elle est impossible, encore convient-il à la Porte de prolonger son agonie par une conduite paisible, sensée, résignée, en s’appliquant à éloigner les accidens qui peuvent amener une catastrophe. C’est précisément tout le contraire qu’on fait à Constantinople, vaste théâtre d’intrigues, où la ruse orientale et les roueries européennes ne s’imposent aucun de ces ménagemens que la bienséance commande en Europe. Aujourd’hui la Porte emprunte à je ne sais quel diplomate beaucoup de colère contre les Grecs. On parle d’armemens maritimes et terrestres. On fait semblant de croire que plusieurs cabinets européens ont envie d’arracher la Thessalie au sultan pour la donner au roi Othon. On joue aux soldats ; on a une flotte et on voudrait s’en servir. Tunis, on n’ose pas y toucher. L’île de Candie est soumise. Si on allait braver les Grecs et faire les matamores devant le Pirée ? Tout cela est misérable et ridicule. Toujours est-il que cela tient les esprits en haleine, que cela agite les populations, que cela ôte de plus en plus au gouvernement turc le peu qui
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