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REVUE MUSICALE.

excuse M. Adam peut-il donner à une œuvre semblable, lui qui écrivait quelques mois auparavant cette charmante partition de Giselle, cette musique vaporeuse si bien en harmonie avec la poésie éthérée du sujet ? Il est vrai que cette fois M. Adam moissonnait, comme c’était son droit, dans le champ des uns et des autres ; mais, à travers toute cette habileté d’arrangement, à travers ces lambeaux de phrases cousus avec tant d’adresse ; ces mélodieuses rencontres ménagées avec tant d’art, ne distinguait-on point çà et là quelque idée neuve, quelque gentille phrase originale et trouvée, entre autres le ravissant motif de la scène d’amour au premier acte, lorsque la jeune fille interroge les marguerites qu’elle effeuille en dansant ? On a prétendu que cette phrase était allemande, d’autres l’ont attribuée à Persuis, dont elle rappelle un peu le goût et la naïveté sentimentale. En matière de musique de ballet, les gens qui veulent crier au plagiat ont beau jeu. Cependant nous persistons à faire honneur de cette phrase à M. Adam, et, toute charmante qu’elle est, nous croyons, malgré sa récente défaite, qu’il est homme à l’avoir trouvée. — L’Opéra-Comique promet pour le milieu de la saison une partition nouvelle de M. Auber ; on dit déjà merveilles de cette musique, écrite, comme les Diamans de la couronne, pour la voix de Mme Thillon. Il n’y a plus aujourd’hui de musique d’Auber que pour Mme Thillon, et décidément la cantatrice anglaise a remplacé Mme Damoreau. À propos de Mme Damoreau, elle vient d’échouer à Saint-Pétersbourg. Tant de goût, tant de style et d’art n’ont pu faire oublier le délabrement de cette voix que nous aimions tant, et l’illustre virtuose a vu lui échapper ce regain de gloire et de fortune qu’elle espérait trouver après les moissons de Paris. En revanche, Mme Falcon réussit on ne peut mieux, et tout le monde la fête, car la ville des czars est à cette heure une sorte de terre promise et d’Eldorado où vont se réfugier tous nos rossignols blessés à l’aile. Le jour même de son arrivée, Mlle Falcon était au théâtre, on en prévint l’empereur, qui s’émut vivement à cette nouvelle et prétendit entendre sur-le-champ la belle cantatrice. Les désirs de l’autocrate sont des ordres absolus, comme chacun sait. Force fut donc à Mlle Falcon de quitter sa loge et de venir sur la scène faire les honneurs d’un concert improvisé à la hâte. De cette soirée datent ses triomphes à Pétersbourg, triomphes bien doux après tant de désastres. S’il faut en croire les personnes qui l’ont entendue, la voix de Mlle Falcon aurait reconquis certains de ses avantages et pourrait du moins servir d’interprète au sentiment qui l’anime. Ce n’est plus sans doute cette voix sonore, éclatante, dramatique, cette voix sans égale que nous entendions autrefois ; mais aussi ce n’est plus là-bas le public de Paris, ce n’est plus Rossini, Meyerbeer et Nourrit, et tant de distance la sépare aujourd’hui de son passé, que la cantatrice peut le regarder comme un rêve et songer encore à l’avenir.