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qu’une foule d’accessoires, autre part secondaires, les viennent compliquer. Il s’agit moins ici, pour le chanteur, de se mettre en évidence que de se fondre dans l’ensemble, dans l’harmonie de l’ensemble, et d’en être comme l’ame et la force motrice. Or, c’est cela justement ce que Nourrit comprenait à merveille. Aussi, en le voyant marcher avec tant d’aisance à travers les périls de ce rôle, se doutait-on à peine de ce qu’il dépensait d’énergie et de puissance physique, indépendamment de ses qualités de chanteur et de comédien que chacun admirait en lui. Pour qu’on sentît l’immensité de cette tâche, il a fallu que d’autres, et des plus forts, y vinssent échouer. Il en est un peu du rôle de Robert comme de ces armures forgées à la taille de certains héros, et dont on n’apprécie le poids qu’en les voyant porter par d’autres.

Il est temps que l’Académie royale de musique songe à renouveler un peu son répertoire. Depuis la Favorite, pas une partition n’a vu le jour, et, si l’on excepte cette malencontreuse parodie du Freyschütz, si tôt disparue de l’affiche, et Giselle, encore en plein vol de succès, les anciens chefs-d’œuvre, ravivés par l’intérêt de certains débuts, tiennent seuls en éveil l’attention du public. On annonce pour le milieu du mois le Chevalier de Malte, de MM. Halévy et de Saint-Georges. Duprez et Barroilhet doivent paraître ensemble dans cette partition, dont le rôle de soprano, d’une importance musicale et dramatique fort sérieuse, à ce que l’on prétend, est confié, comme de juste, à Mme Stoltz.

L’Opéra-Comique continue à s’occuper de reprises, et le jeu lui réussit jusqu’à présent, on ne peut mieux. En avant donc les fifres et les tambourins ! les baillis qu’on dupe, les rosières qu’on embrasse la nuit sous l’orme, les princes galans qui courent le monde en écharpes de satin à franges d’or ! Nous avons revu Joconde, et franchement, si l’ancien répertoire n’avait pas d’autres chefs-d’œuvre à produire, autant vaudrait les laisser en repos. Ôtez de cette partition une romance d’une assez touchante sentimentalité, le fameux quatuor : Quand on attend sa belle, et voyez après ce qu’il y restera. Que dire de ces éternelles ariettes qu’un orchestre vide et suranné accompagne ? Qu’on passe sur la désuétude où certaines formes sont tombées, qu’on fasse bon marché de l’instrumentation lorsqu’il s’agit d’entendre de ces élans du cœur, de ces boutades sublimes comme en a Grétry, rien de mieux ; mais ici tel n’était point le cas, et nous ne voyons guère dans la reprise de Joconde qu’une galanterie de l’administration envers ses habitués de l’orchestre, qui pensent à Martin tandis que M. Couderc se démène, et rêvent au bon temps d’Elleviou lorsque Moreau-Sainti leur apparaît décoré d’une écharpe en sautoir et sa toque de velours surmontée d’un large bouquet de plumes blanches. Autre chose était la reprise de Richard Cœur-de-Lion. Cette fois, du moins, il s’agissait d’une œuvre musicale sérieuse et qui ne pouvait manquer de réussir. La musique de Grétry a trop vivement ému nos pères pour que la génération nouvelle y demeure indifférente. Richard est un de ces opéras qui ont le privilége d’attirer tout le monde : les vieillards y vont pour se souvenir, les jeunes gens pour apprendre. La partition de Grétry passera toujours à