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REVUE MUSICALE.

Les Italiens sont revenus, et cette fois sans Rubini. On se souvient de l’émotion profonde qui s’empara, l’an dernier, du monde dilettante lorsque, sur la fin de la saison musicale, le bruit se répandit que le prince des ténors abandonnait pour toujours notre scène. Eh bien ! qui le croirait ? quelques mois se sont à peine écoulés, et l’on n’y pense déjà plus, et cette perte immense dont il semblait qu’on allait faire un deuil éternel, on s’étonne de jour en jour de la supporter avec tant de calme et de résignation. Si quelques vieux abonnés émérites prennent la chose au sérieux, s’indignent à voix haute des applaudissemens donnés au nouveau virtuose et prétendent y voir autant de soufflets à l’illustre démissionnaire, la salle entière prend son malheur en patience et ne demande qu’à se consoler. Il en sera de ce grand fléau comme de tous les fléaux qui nous frappent, et que nous ressentons plutôt par l’idée de la privation que par la privation elle-même. Voilà certes un grand sujet d’étude pour les gens qui passent leur vie à méditer sur les grandeurs humaines. Quoi qu’il en soit, jamais cette parole des humanitaires : que l’individu ne compte pas, n’aura reçu encore d’affirmation plus solennelle ; car, s’il y a un lieu au monde où l’individu puisse être quelque chose, c’est à coup sûr le théâtre, le théâtre Italien du moins, où, comme chacun sait, on écrit un opéra pour un rôle et ce rôle pour un individu. Hélas ! combien nous en avons vu mourir de grands chanteurs ! Garcia, Davide, la Malibran, la Sontag, Nourrit, cette ame généreuse, cette noble voix qu’il nous semblait entendre encore vibrer hier dans la Muette ! Aujourd’hui c’est au tour de Rubini de les rejoindre, et le public n’a plus désormais à s’occuper de lui, de cette gloire qui court le monde, et qui, de peur que le temps ne la gagne de vitesse, aujourd’hui qu’elle nous a quittés, s’élance d’un trait du Johannisberg à l’Escu-