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tendances militaires. Il a mis de ce côté son activité, son zèle, son amour-propre, et il les y a confinés. Pour tout le reste, il s’en est remis à la direction d’un parti qui a habituellement cherché à dominer les conseils des souverains, mais qui n’y a jamais peut-être aussi bien réussi qu’aujourd’hui à Turin. L’esprit de l’ordre religieux dont l’ombre seule et la douteuse apparition ont si fort ému la France dans les dernières années de la restauration, règne en maître à la cour de Sardaigne. Ce n’est pas un spectacle sans quelque amusante singularité de voir au sein de cette cour belliqueuse et toujours armée en guerre, à travers ces sabres retentissans et ces brillans uniformes, les menées sourdes d’une faction dont les prêtres sont encore les conseillers et les chefs. La politique qui en résulte n’est pas moins étrange. Ce n’est pas une tyrannie affichée et violente, ce ne sont point des coups de tête passionnés, qui pourraient compromettre. On sait habilement se retrancher des fantaisies imprudentes qui réveilleraient de trop vives oppositions. Mais ce sont de patiens et merveilleux efforts pour détruire tout mouvement, pour amortir tout bruit, si petit qu’il soit, pour supprimer jusqu’aux moindres apparences de vie. La tâche entreprise paraît être d’endormir paisiblement un peuple entier, de suspendre pour lui, pour soi-même, pour tout le monde, la marche du temps, par crainte de ce qu’il pourrait apporter avec lui. On ne peut que difficilement se figurer jusqu’à quel degré de gêne et de compression ce régime peut être poussé. Rien ne ressemble plus au sommeil pesant et douloureux que des opérations magnétiques peuvent, dit-on, communiquer à un corps sain et vigoureux. Un tel sommeil n’est pas le repos.

Si du gouvernement nous passons aux dispositions des populations de cette partie de l’Italie à notre égard, ce ne sera point s’aveugler que de dire que nous n’y sommes ni oubliés ni haïs. On y ressent encore, dans les classes inférieures, quelque chose comme un sentiment patriotique pour ce grand pays dont on a un instant partagé les destinées et la gloire. Dans l’armée surtout, les traditions, les souvenirs militaires, l’honneur du chef et du drapeau, tout ce qui fait l’esprit du corps et la valeur du soldat, remonte aux campagnes faites avec nous. Dans la haute société, il y a quarante ans, on ne parlait, on n’écrivait guère que la langue française. Ce sont les ouvrages nationaux d’Alfieri qui ont rappelé aux Piémontais qu’ils étaient de race italienne. Mais, si la langue française n’a plus cours, les idées françaises règnent toujours. Sans songer à des bouleversemens, sans être infidèles à leurs princes légitimes, les esprits s’occupent encore à