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heures de suite, car la caravane ne pouvait s’arrêter qu’à certains endroits, là où l’on trouve un abri et un peu d’herbe sous la neige. Les chevaux eux-mêmes souffraient du froid, des aiguilles de givre pendaient à leurs naseaux, et leur sabot se brisait sur les pointes de glace. La caravane était constamment entourée d’un épais brouillard, produit par l’haleine des voyageurs, les vapeurs exhalées des vêtemens et même de la neige, dont la température alors était plus chaude que celle de l’atmosphère. Ce brouillard se cristallisait en petites pointes de givre qui tourbillonnaient dans l’air et tombaient avec un bruit pareil au frôlement de la soie. La nature inanimée souffrait aussi de ce froid excessif. Les troncs d’arbre éclataient, le sol se fendait, et des blocs de roches, détachés de leur base, roulaient du haut des collines avec un fracas semblable à celui du tonnerre.

Au commencement de janvier, le froid diminua peu à peu ; le 6, le thermomètre était à 19 degrés. — Nous trouvions, dit, M. Wrangel, cette température douce après celle dont nous venions de subir l’affreuse rigueur.

Après sept semaines de marche, les voyageurs arrivèrent enfin à Jakuzk. Il y avait plus de trois ans qu’ils en étaient partis, et, dans cet espace de temps, la petite ville sibérienne était devenue très coquette. On avait renversé sa vieille forteresse en bois, qui ne faisait peur à personne, et les matériaux en avaient été employés à construire une élégante maison où les bons bourgeois et les gens lettrés de la cité se réunissent pour lire et causer. Dans cette maison, on avait établi des jeux de cartes et un billard, une salle de bal et une salle de concert ; un restaurateur y venait à certains jours étaler ses richesses, et des enfans de Cosaques y jouaient la comédie. À l’heure qu’il est, je suppose qu’on joue dans ce nouvel édifice de Jakuzk, au beau milieu de la Sibérie, les pièces de M. Scribe, comme on les jouait déjà en 1838 à Tromsœ, capitale de Finmark.

Le 15 août 1824, M. Wrangel était de retour à Pétersbourg, rapportant avec lui la carte complète de ses voyages, des notions détaillées sur les diverses provinces qu’il avait parcourues, des renseignemens curieux et presque entièrement ignorés sur les districts les plus reculés de la Sibérie, une longue suite d’observations météorologiques faites à Nishne Kolymsk, en 1820, 1821, 1822, 1823, et l’exposé d’un grand nombre d’expériences de magnétisme et d’aiguille aimantée. L’amirauté russe a reconnu les services de M. Wrangel comme savant et comme officier de marine, en lui conférant successivement plusieurs grades. Il est aujourd’hui contre-amiral.