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qu’avec précaution. Si on posait la main nue sur son arc de cuivre, ou si on le plaçait près de son œil, à l’instant même la peau des doigts ou du visage se gelait et était emportée. Il fallut garnir cet instrument de cuir à tous les endroits que l’on avait à toucher, et les observateurs devaient, en s’en servant, retenir leur souffle, car l’haleine jetait sur les verres une humidité qui se transformait aussitôt en une couche de givre. Ni le froid, ni les fatigues de la route, ni les difficultés de toute sorte, n’empêchèrent le courageux voyageur de poursuivre avec ses compagnons le cours de ses travaux. La nuit même il faisait, à la lueur d’une petite lanterne, ses calculs d’astronomie.

Heureusement il trouva, dans le lieu désert où il venait de dresser sa tente, plusieurs pièces de bois amenées là par les courans. Plus loin il en trouva encore. C’était, à la fin d’une journée tout entière passée dans la neige ou sur la glace, un bonheur que ceux-là seuls qui ont voyagé l’hiver dans les régions boréales peuvent bien comprendre. Nous nous rappelons la joie que nous éprouvions en Laponie, lorsqu’après avoir parcouru pendant huit ou dix heures les marais fangeux, nous voyions poindre, au lieu où nous établissions notre campement, quelques tiges de bouleau, et les souffrances de notre route n’étaient rien cependant, comparées à celles que le jeune officier russe a supportées, dans sa redoutable mission, pendant plusieurs hivers. Mais il y a dans le cœur de l’homme, aux jours de lutte et de péril, une force merveilleuse, un élément de consolation et d’espoir qui se révèlent tout à coup, quand le moment en est venu, par un miracle de la nature et une clémence infinie de Dieu. Les heures les plus douloureuses ont leur éclair de joie, de même que les ténèbres profondes des contrées polaires ont leurs aurores boréales. M. Wrangel a dépeint ses soirées de campement au milieu des plages de la Sibérie, et il trace ce triste tableau avec calme, parfois même avec gaieté.

« Dès que notre tente en peau de renne était établie, tout le monde, dit-il, se mettait à l’œuvre pour préparer le souper. Ceux-ci remplissaient de neige nos bouilloires, ceux-là allumaient le feu, et, dès que nous avions pris quelques tasses de thé, toute la caravane était plus animée et plus riante. Le biscuit de seigle contribuait aussi beaucoup à raviver nos forces. Nos guides s’en allaient alors donner la pâture aux chiens et les attachaient avec soin, pour les empêcher de courir, pendant la nuit, à la poursuite de quelque renard. Pendant ce temps, nous commencions nos observations, nous tracions sur