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LA SIBÉRIE SEPTENTRIONALE.

l’année prochaine. Quelquefois, au milieu de ce temps de récolte, il arrive encore d’affreuses catastrophes ; les amas de glace que le courant n’emporte pas assez vite se rejoignent, se resserrent, et forment çà et là une espèce de digue qui arrête l’eau dans sa marche ; le fleuve déborde, inonde les plaines et les villages, et emporte les chevaux, si on ne se hâte pas de les conduire sur des collines.

Dès que les fleuves ont repris leur cours régulier, on commence la grande pêche. Le poisson est la principale nourriture des habitans de Kolymsk et de leurs chiens. On calcule que, pour la subsistance de cent familles, il faut au moins trois millions de harengs par année. Le Kolyma en donne ordinairement un million ; le reste est pris ailleurs. On ne saurait évaluer d’une manière certaine le produit de la pêche. Elle dépend de plusieurs circonstances accidentelles. Au mois de septembre, on en fait encore une qui est parfois extraordinairement abondante. Il n’est pas rare alors de voir des pêcheurs retirer d’un seul filet, dans l’espace de trois ou quatre jours, jusqu’à quarante mille harengs. Une partie de l’été est aussi employée à la chasse des rennes. Les chiens harcèlent ces animaux, les poussent vers le rivage, les forcent à se précipiter dans le fleuve ; là le chasseur les attend et les tue à coups de lance.

Pendant que les hommes sont occupés à la chasse et à la pêche, les femmes recueillent pour l’hiver les faibles produits du sol, les plantes aromatiques et les petites baies savoureuses que l’on trouve dans les bois et dans les marais. Le temps où l’on fait cette récolte est un temps de joie, comme celui de la vendange dans les contrées méridionales. Les jeunes filles s’en vont en grand nombre à travers les forêts, passent souvent la nuit en plein air, et se récréent dans leur travail par la danse et le chant. Les baies qu’elles ont cueillies sont jetées dans l’eau froide ; on les laisse geler, et on les garde pour l’hiver comme un mets précieux. En automne, il y a une nouvelle pêche. On creuse des trous dans la glace, on y introduit des filets de crin, et très souvent on en retire d’excellens saumons. Chaque saison amène ainsi une nouvelle série de travaux, et les habitans de ce malheureux pays sont trop occupés des besoins matériels pour songer à ceux de l’esprit. Toute leur habileté, toutes leurs forces, sont employées à lutter contre la nature rigoureuse qui les opprime et à se procurer le strict nécessaire. Dès que le sol est durci par le froid et couvert de neige, ils s’en vont tendre des piéges aux renards, aux martres, aux écureuils, ou poursuivre avec leurs chiens l’élan et l’ours. Ceux qui se livrent courageusement à cette chasse périlleuse