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LA SIBÉRIE SEPTENTRIONALE.

gues soirées d’hiver, souvent ceux qui habitent des huttes voisines l’une de l’autre se rassemblent autour d’un même foyer, pour jouer et danser ensemble. On ne remarque rien de semblable parmi les indigènes. Sombres et taciturnes, ils observent, sans y prendre part, l’élan de gaieté des Russes, et rendent hommage à leur force physique, à leur ardeur pour le travail. Quand on leur parle d’un chasseur habile et heureux : — Ah ! c’est un vrai Russe, disent-ils ; et ils courbent la tête en silence, dans le sentiment de leur infériorité.

Les habitations sont construites en bois et se ressemblent toutes par la distribution. Le toit est plat et couvert de terre. Au milieu de la cabane est la cheminée. Il n’y a dans chaque hutte qu’une seule chambre, qui sert à la fois de chambre à coucher, de cuisine et d’atelier. Le plus grand désagrément que le voyageur éprouve dans ces habitations, c’est leur malpropreté. Les riches seuls ont du linge ; les autres n’en portent pas même sur le corps ; ce qu’ils appellent leur chemise est une espèce de blouse en peau de renne. Tout le reste de leurs vêtemens est fait avec la même peau. Je laisse à penser quelle puanteur doit exhaler un tel costume, quand il a été pendant quelque temps trempé de neige et noirci de fumée.

Les hommes portent à leur ceinture un grand couteau, une pipe en étain avec un grand tuyau de bois, et un sac qui renferme, outre les ustensiles nécessaires pour allumer du feu, du tabac mêlé avec du bois de mélèze râpé. En fumant, ils rendent la vapeur du tabac par le nez et les oreilles, ce qui produit sur eux une telle ivresse, qu’on les voit parfois tomber sans connaissance près du foyer. Ils vantent du reste beaucoup cette manière d’absorber l’arôme du tabac, et prétendent que c’est un très bon moyen de supporter le froid.

Le vêtement des femmes ne se distingue de celui des hommes que par sa légèreté. Quelques-unes portent des étoffes de soie ou de coton, et un collier de martre. Les femmes mariées cachent leurs cheveux sous un bonnet tricoté ; les jeunes filles les laissent tomber en longues nattes, et se mettent, dans les jours de fêtes, un bandeau sur le front. Leur grande toilette ressemble du reste beaucoup à celle que les femmes de marchands russes portaient il y a vingt ans. Plus leur vêtement est bariolé, plus il leur paraît beau ; plus leurs pendans d’oreilles sont lourds et étincelans, plus ils leur semblent de bon goût. Les marchands ambulans qui vont dans ce pays à certaines époques, savent tirer bon parti de ces prédilections féminines.

Le printemps est pour les habitans des rives du Kolyma l’époque la plus pénible de l’année. Les provisions amassées pendant l’été