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LA SIBÉRIE SEPTENTRIONALE.

entend quelquefois le cri joyeux du pinson et le chant plaintif de la mésange.

« Cependant, dit M. Wrangel, la variété, le mouvement de tous ces êtres animés, n’adoucissent guère l’aspect de cette douloureuse solitude, et l’on s’arrête avec terreur au milieu de ces plages désertes, en se disant : Ici est la limite de la vie. Que les animaux trouvent encore là un refuge, c’est une des lois de la nature. En parcourant ce froid désert, ils obéissent à leur instinct. Mais quelle loi mystérieuse a pu porter l’homme à s’ensevelir dans ces tombeaux de neige et de vapeurs ? Par qui les diverses tribus que l’on rencontre dans ces parages ont-elles été poussées si loin, et pourquoi y sont-elles restées ? Voilà ce que nul fait connu, nul récit, nul monument n’explique. L’habitant de ces régions, froid et silencieux comme le sol qu’il occupe, ne songe qu’à satisfaire ses besoins du moment et ne s’inquiète point du passé. Ces populations conservent pourtant une tradition obscure qui raconte qu’autrefois, sur les rives du Kolyma, il y avait plus d’hommes de la race des Omaki et plus de foyers qu’il n’y a d’étoiles au ciel. On parle aussi de la race nombreuse des Tscherkotsch, qui a dû habiter avec ses troupeaux de rennes l’immense plaine de Tundra. Ces deux races ont disparu, et les familles éparses qui occupent aujourd’hui les bords du fleuve en sont peut-être le dernier reste. »

On compte dans le district de Kolymsk environ 2,500 habitans, dont 325 Russes et Cosaques, 1,000 Jakutes, 1,200 Jukahires[1]. De ces 2,500 habitans des plages de glace, 2,173 sont soumis par la Russie à un tribut qui s’élève chaque année, en totalité, à 803 peaux de renards, et 28 peaux de martres. La valeur de ces peaux est de 10,847 roubles, en sorte que chaque contribuable paie annuellement un tribut d’environ huit roubles. Il n’est point de pauvreté qui échappe au fisc, point de terre aride dont il ne tire quelques deniers. Le fisc a même à Kolymsk son cortége d’archers. On trouve là, qui le croirait, un corps militaire, un corps de six cosaques commandés par un officier qui demeure à Sredne-Kolymsk[2], et chargé de maintenir le bon ordre parmi les habitans de ces huttes enfumées. Qu’on dise encore que la Russie est un pays mal administré, quand on le voit entourer ses frontières d’un cordon de Cosaques et étendre la vigi-

  1. Tribu subjuguée par la Russie, qui habite les bords du fleuve Ancus.
  2. Petite ville située à l’est de Nishne-Kolymsk.