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tant des régions polaires, se retire dans la profondeur des bois, et reste là immobile et pour ainsi dire sans vie. Le 22 novembre, commence une nuit continue de six semaines, dont les ténèbres sont pourtant interrompues de temps à autre par les rayons de l’aurore boréale et la réfraction de la neige. Le 28 décembre, on distingue à l’horizon une pâle lueur de pourpre, indice du soleil qui à midi n’a pas encore assez d’éclat pour dominer celui des étoiles. Quand l’astre commence à devenir plus distinct, le froid redouble d’intensité. Au mois de février et de mars, il est d’une rigueur extrême. On ne voit du reste que très rarement dans cette contrée ces beaux jours purs et sans nuages qui font le charme des hivers dans les régions scandinaves. L’atmosphère est presque constamment voilée par des vapeurs si denses, qu’à peine distingue-t-on çà et là un lambeau d’azur à la surface du ciel.

Une chose singulière que M. Wrangel a observée pendant son séjour à Kolymsk, c’est que parfois, au milieu des frimas de la mauvaise saison, se lève tout à coup un vent de sud-ouest si puissant et si doux, que, dans l’espace de quelques heures, le thermomètre monte de 35 degrés de froid à 1 degré au-dessus de zéro.

Malgré l’excessive rigueur du climat, les habitans de Kolymsk sont en général d’une constitution robuste et saine. On ne trouve parmi eux ni le scorbut, ni d’autres maladies contagieuses. Les brouillards d’octobre, les froids aigus du mois de décembre provoquent seulement chez ces malheureux des fièvres catarrhales, et l’éclat éblouissant de la neige leur enflamme les yeux. Ils sont en outre attaqués d’une maladie singulière qu’ils appellent morak, et qu’ils attribuent, dans leur esprit superstitieux, à l’influence fatale d’une sorcière morte depuis long-temps. M. Wrangel croit que cette maladie est une espèce d’hystérie très intense. Le médecin qui l’accompagnait dans son voyage a aussi trouvé çà et là les symptômes de l’éléphantiasis, cette horrible maladie dont nous avons si souvent vu les traces hideuses en Islande.

Autant le règne végétal est chétif et pauvre le long du Kolyma, autant le règne animal est riche et fécond. Les forêts sont peuplées d’une énorme quantité de rennes, d’élans, d’ours noirs, de martres, d’écureuils, de loups, et de renards à croix. Au printemps, des nuées de cygnes, d’oies, de canards, traversent les airs. L’aigle, la mouette, le hibou, errent sur les côtes de la mer ; la perdrix blanche voltige dans les broussailles ; la bécasse s’arrête dans les marais ; le corbeau croasse auprès des habitations, et, par une belle matinée, on