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LA SIBÉRIE SEPTENTRIONALE.

vations. Il était en marche depuis deux cent vingt-quatre jours, et il avait fait deux mille six cent cinquante lieues.

Nishne Kolymsk est un misérable village de pêcheurs situé au-delà du 69e degré de latitude, sur le bord du fleuve Kolyma, qui prend sa source au 61e degré et demi, et va se perdre dans l’Océan glacial. À l’ouest de ce village s’étend une immense plaine nue, qu’on appelle la Tundra ; au nord est la mer, couverte d’une glace perpétuelle, en sorte que rien ne tempère l’impétuosité du vent de nord-ouest, qui souffle presque constamment sur cette plage aride, et souvent, au beau milieu de l’été, y amène des tourbillons de neige. Les côtes septentrionales de la Scandinavie sont plus heureuses. Près du golfe d’Alten, situé à peu près à la même latitude que Kolymsk, on trouve encore des champs d’orge, des légumes, une forêt de pins. À Hammerfest, qui est près du 70e degré de latitude, il y a dans l’été plusieurs semaines de beau temps, tandis qu’à Kolymsk la température est si rigoureuse, qu’en la calculant toute l’année, avec la bonne et la mauvaise saison, elle offre une moyenne de huit degrés de froid.

À Kolymsk, le fleuve gèle au commencement de septembre, et, plus près de son embouchure, il est déjà couvert au mois d’août d’une glace assez forte pour que les chevaux puissent y passer. Dans le cours des trois mois auxquels on donne, sur cette malheureuse plage, le nom d’été, le soleil, il est vrai, ne quitte pas l’horizon, mais il est sans force, il éclaire et n’échauffe pas, et toute cette saison d’été est une sorte de lutte perpétuelle entre la vie et la mort. Vers les derniers jours de mai, les petites broussailles exposées au sud se revêtent d’une pâle verdure. Au mois de juin, à midi, il y a parfois 18 degrés de chaleur, puis arrive un vent glacial qui flétrit les bourgeons naissans. Au mois de juillet, le temps est ordinairement assez doux, mais alors l’atmosphère est envahie par des nuées de moustiques auxquels on n’échappe qu’en s’entourant d’une fumée épaisse, et dont les piqûres sont si irritantes, qu’on en vient à préférer le froid de l’hiver aux chaleurs qui amènent un tel fléau. Cependant ces moustiques rendent un grand service aux habitans du pays ; ils fondent sur les rennes sauvages, les harcèlent, les forcent à quitter les forêts pour se précipiter vers la mer. Les chasseurs se mettent à leur poursuite et en tuent une quantité considérable.

L’hiver dure neuf mois. Au mois d’octobre, le froid est encore adouci par les vapeurs épaisses qui s’élèvent de l’océan. Au mois de novembre, rien ne le tempère, et au mois de janvier il va jusqu’à 43 degrés. Alors la respiration est difficile. Le renne sauvage, cet habi-