deau ébranlé par les secousses, et de rattacher le licou des plus rebelles. Le soir, après avoir fait pendant le jour cinq à six lieues, on délivre les chevaux de leur harnais et de leur bagage, et on les lâche dans les plaines arides, où ils s’en vont cherchant un peu d’herbe. Les voyageurs amassent quelques rameaux d’arbre, allument du feu, dressent leur tente, et s’endorment sur leurs peaux de rennes avec une volupté de Sybarites.
« Le lendemain de notre départ, dit M. Wrangel, nous nous levâmes aux premiers rayons du soleil. L’air était frais et pur, le thermomètre marquait deux degrés au-dessous de zéro. Je pensais à ce climat de Sibérie, où, pendant l’hiver, lorsqu’il n’y a que quelques degrés de froid, on dit qu’il fait très chaud, et je ne concevais pas comment on pouvait s’habituer à cette température glaciale. Mais l’homme s’assouplit à tous les climats et à toutes les zones ; la nécessité, la volonté, l’habitude, lui enseignent bientôt à vaincre les souffrances les plus rudes et à les trouver supportables. Quelques semaines plus tard, il me semblait aussi que 8 et 10 degrés de froid n’étaient pas un temps très rigoureux.
« Bientôt tout est en mouvement dans notre caravane. On pose sur le feu la théière pour moi, la marmite pour mes guides ; on amène nos chevaux, et nous voilà en route. Nous traversons des collines couvertes de pins et de mélèzes. Sur les bords de notre sentier, je remarque des arbres dont les rameaux sont entourés de poils de chevaux ; des pieux, des bâtons, plantés dans le sol, étaient ornés de la même manière. Le Jakute qui conduisait notre cortége s’arrête, met pied à terre, arrache quelques poils de la crinière de son cheval, et les noue avec une respectueuse dévotion à une branche d’arbre ; puis, se tournant vers moi, il me dit que c’est un sacrifice qu’on doit faire au génie de la montagne pour obtenir sa protection. Ceux qui vont à pied lui rendent hommage en enfonçant leur bâton dans le sol.
« Tout le long de la route mes guides chantent. Leur chant plaintif et monotone est en parfaite harmonie avec le caractère taciturne et superstitieux de la nation à laquelle ils appartiennent ; mais les idées qu’ils expriment sont variées et poétiques. Ils célèbrent la beauté de la nature, l’élégante majesté des arbres, le bruit du torrent, la hauteur des montagnes. Ces pauvres gens, qui font métier de conduire les voyageurs, improvisent leurs chants avec une rare facilité et un étonnant prestige d’imagination. Dans une vieille tige de pin à demi brûlée, ils voient un arbre magnifique, et, dans un marais fangeux, un lac de cristal. J’attribuais d’abord ce luxe d’images à leur instinct poé-