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LA SIBÉRIE SEPTENTRIONALE.

jours croissante de leur communauté ; en vérité, ils en ont le droit. De l’est à l’ouest, des rives de la mer Glaciale aux montagnes d’Olekma, de l’Ochozk et du Kamtschatka, de plusieurs milliers de werstes à la ronde, arrivent ici les pelleteries les plus précieuses et les plus communes, les dents du morse, les ossemens du mammouth, ce prodigieux animal de l’ancien monde ; et tout cela est acheté, vendu, pendant la courte saison que ce pays appelle son été, c’est-à-dire dans l’espace de dix semaines. On ne saurait se faire une idée de l’énorme quantité de fourrures de toute sorte amassées alors dans cette ville. On en estime le prix courant à plus de deux millions et demi de roubles. Dès que les glaces du Lena sont fondues et que la navigation redevient libre, les marchands d’Irkuzk arrivent, apportant avec eux tout ce dont les Sibériens du nord ont le plus grand besoin : l’âpre plante du tabac, pour laquelle ils ont une prédilection particulière ; l’orge, la farine, le sucre, le thé, diverses sortes d’eau-de-vie, des étoffes de soie, de coton, de laine, des ustensiles en fer et en cuivre. Il faut que les habitans de Jakuzk se hâtent de faire leurs provisions ; car, dès que le temps de la foire est passé, le prix des denrées devient exorbitant. »

Ces pauvres gens d’Jakuzk ne sont pas fort lettrés. Il n’y a guère parmi eux d’autres livres que la Vie des Saints, le calendrier de Pétersbourg, et, çà et là, des modèles de correspondance pour les diverses circonstances de la vie. Les enfans apprennent quelque peu à lire et à écrire ; ensuite ils sont initiés aux mystères du commerce des pelleteries, ou sont placés comme scribes chez quelque fonctionnaire du district, afin d’obtenir par la suite un titre et un rang. Jusqu’où les vanités bureaucratiques n’étendent-elles pas leur empire !

Au-delà de Jakuzk il n’y a plus de route. On ne trouve plus, de distance en distance, qu’un sentier mal frayé, qui serpente à travers les vallées marécageuses, les montagnes escarpées, et se perd dans l’immense désert de la Sibérie. Impossible de conduire une voiture sur ce sentier ; on a bien de la peine à le suivre avec des chevaux. La manière dont les marchands et les voyageurs organisent leurs caravanes dans cette contrée ressemble beaucoup à ce que nous avons vu pratiquer en Islande. Chaque cheval porte un poids de deux cents à deux cent vingt livres, réparties également sur les flancs et sur le dos. Tous les chevaux sont ensuite attachés à la queue l’un de l’autre avec une corde de crins et s’en vont pas à pas, conduits par deux ou trois hommes, qui ont assez à faire de les prendre tour à tour par la bride dans les endroits difficiles, de remettre en équilibre leur far-