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LA SIBÉRIE SEPTENTRIONALE.

Ch. Ritter, de Berlin, qui, en se faisant l’éditeur de cet intéressant ouvrage, s’est acquis un nouveau titre à la reconnaissance de l’Europe savante.

En 1820, M. Ferdinand Wrangel, lieutenant de vaisseau, reçut l’ordre d’explorer les côtes septentrionales de la Sibérie, et de s’avancer aussi loin que possible sur la mer glaciale. Il a passé courageusement quatre années à remplir cette pénible et dangereuse mission. L’ouvrage dont il a confié la publication à M. Ritter nous offre une narration sans jactance, sans emphase, des fatigues qu’il a subies, des périls qu’il a traversés et des travaux qu’il a accomplis pendant ces quatre années. Comme récit de voyage, c’est l’une des pages les plus mémorables qui existent dans la longue série des excursions lointaines ; comme œuvre scientifique, ce livre intéresse au plus haut degré les physiciens et les géographes.

Le 23 mars, M. Wrangel quitte Pétersbourg avec les trois marins que le gouvernement associait à son expédition, MM. Anjou, Matiuschkin, Kosmin, et ne commence le récit de son voyage qu’après avoir franchi un espace de plus de onze cents lieues.

« On compte, dit-il, de Moscou à Irkuzk environ cinq mille trois cent dix-sept werstes (le werste est un peu plus d’un quart de lieue). À travers cet espace, qui ne forme guère que le tiers de l’étendue de la Russie de l’ouest à l’est, nous avons tour à tour trouvé l’aspect du printemps et l’aspect de l’hiver, et, en faisant un léger détour à droite et à gauche, nous aurions eu celui de l’été. Dans la province de Kasan, les arbres avaient déjà reverdi, les plaines étaient parsemées de fleurs. Dans l’Oural, une neige épaisse couvrait le sommet des montagnes et le fond des vallées. À Tobolsk, on distinguait à peine dans les prairies les premières pointes de gazon, tandis que le romantique district de Krasnojarsk et les jardins d’Irkuzk portaient la riante parure des beaux jours.

« Dès qu’on a franchi les montagnes de l’Oural, la ceinture de pierre, comme on l’appelle ici, et qu’on entre dans la Sibérie proprement dite, on est frappé du caractère honnête et affectueux des habitans de cette contrée, que tant d’étrangers s’obstinent encore à regarder comme le Botany-Bay de la Russie, comme un froid désert peuplé de mécréans et de malfaiteurs. Dans la partie méridionale de la Sibérie, le voyageur trouve partout une végétation abondante, des campagnes cultivées avec soin, des routes excellentes, de grands villages bien bâtis, et une sécurité telle, qu’il en existe à peine une semblable dans les états les plus civilisés de l’Europe. À chaque sta-