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HISTOIRE DIPLOMATIQUE DE LA QUESTION D’ORIENT.

la flotte turque faisait peser sur le capitan-pacha ; tout cela méritait une réponse : le maréchal ne la fit pas. Il fut évasif, quand il fallait se montrer susceptible et énergique. Il donna des explications, au lieu d’en demander. Il se contenta de dire que la flotte française n’excédait pas treize vaisseaux. Nous verrons bientôt lord Palmerston, encouragé par cette marque de faiblesse, renouveler ses injonctions.

Pour le moment, le ministre anglais trouva plus commode de faire continuer par la Russie la querelle qu’il avait entamée avec le gouvernement français. Au mois de janvier 1840, le maréchal Soult avait demandé communication à lord Palmerston des dépêches qui expliquaient le but de la seconde mission de M. de Brunnow ; cette demande n’avait rien d’indiscret, de la part d’un gouvernement qui communiquait lui-même à l’Angleterre les dépêches qu’il écrivait, comme celles qui lui étaient adressées. Cependant lord Palmerston déclara qu’il ne croyait pas avoir le droit de donner à un cabinet allié cette preuve ou plutôt cette réciprocité de confiance ; refus d’autant moins explicable que le ministre britannique avait communiqué, dès le mois d’août, à M. de Kisseleff, la correspondance échangée entre lui et le gouvernement français.

Il faut croire que lord Palmerston, dans ses confidences tout au moins prématurées, n’oublia pas de mettre sous les yeux de l’envoyé russe la dépêche que le maréchal Soult adressait le 25 novembre à M. Sébastiani, en réponse au memorandum anglais du 29 octobre ; car ce document, dont la Russie prétendit avoir eu connaissance par une voie indirecte, devint le prétexte d’une polémique très animée entre les cabinets de Paris et de Saint-Pétersbourg. Le maréchal Soult disait dans cette dépêche :

« Je me suis souvent demandé, monsieur le comte, comment il se faisait que les deux cabinets en fussent venus à ne pas s’entendre sur la question qui semblait la mieux faite pour les mettre d’accord. Je vais vous dire toute ma pensée. Cela tient surtout à ce que la France a principalement eu en vue le côté européen de la question, tandis que l’Angleterre s’est trop préoccupée des considérations relatives à la position respective de la Porte et du vice-roi. Nous nous sommes proposé, avant tout, de faire sortir de la crise actuelle l’annulation du protectorat exclusif et dominant que la Russie commençait à faire peser sur la Porte, ou du moins d’empêcher que ce protectorat n’y trouvât une nouvelle occasion de s’exercer, de se légitimer en quelque sorte ; sans négliger le soin de préserver en Syrie et en Égypte l’intégrité de l’empire ottoman, nous avons eu constamment présent à l’esprit qu’il n’était pas moins important de sauver à Constantinople l’indépendance de cet empire,