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mettre les grands intérêts qu’il était destiné à protéger. Nous n’avons cessé de le répéter, de telles garanties ne peuvent résulter que de l’admission simultanée des forces de toutes les cours alliées dans les eaux de Constantinople. C’est là le but auquel nous nous efforcions d’arriver, et auquel un moment l’Angleterre et l’Autriche avaient paru tendre avec nous. Au lieu de cela, que nous propose-t-on ? Précisément ce que nous repoussions tout d’abord, ce que la France continue à repousser comme le triomphe complet de la politique du cabinet de Saint-Pétersbourg, qui n’a jamais demandé autre chose : on veut que les forces russes seules pénètrent dans le Bosphore, tandis que celles de la France et de l’Angleterre s’éloigneraient des Dardanelles pour aller menacer le pacha d’Égypte ; et ce qui est plus étrange, on prétend nous faire croire que l’exclusion, dont nous serions ainsi l’objet, cesserait d’avoir pour nous un caractère offensant par cela seul que nous aurions donné notre consentement. Certes, en exigeant cette exclusion, la Russie révèle sa pensée ; si elle n’avait d’autre désir que de mettre fin aux embarras du moment, si, satisfaite de l’influence naturelle que sa situation lui donnera toujours dans l’empire ottoman, elle n’aspirait pas à s’y créer peu à peu des droits particuliers au détriment de toutes les autres puissances, il est impossible de concevoir d’où pourrait naître la répugnance à voir flotter les pavillons des cours alliées à côté du sien sous les murs de Constantinople. Le traité même d’Unkiar-Skelessi n’y mettrait pas d’obstacle. Qu’elle y consente, et la question d’Orient sera dégagée de sa plus sérieuse difficulté.

« Nous ne pouvons donc pas, monsieur le comte, donner notre assentiment aux propositions de M. de Brunnow. Jamais de notre aveu, une escadre de guerre étrangère ne paraîtra devant Constantinople, sans que la nôtre s’y montre aussi. C’est à cette seule condition que nous pouvons autoriser l’infraction du principe de la clôture des détroits ; et toute autre combinaison rencontrerait dans l’opinion énergique et unanime de la France des obstacles qui ne permettraient pas au gouvernement du roi de s’y associer, lors même qu’il ne partagerait pas, comme il la partage en effet, cette répugnance nationale si vive et si profonde. » (Le maréchal Soult à M. Sébastiani, 26 septembre 1839.)

La protestation du maréchal Soult défendait les véritables intérêts de l’Angleterre encore plus que ceux de la France, et les collègues de lord Palmerston durent en être frappés. Quant à lui, tel avait été l’aveuglement de la passion qui le poussait à abaisser Méhémet-Ali, qu’il avait d’abord passé par-dessus le danger de sanctionner, par un acte signé du gouvernement anglais, l’abandon aux Russes de Constantinople et des détroits. Tel avait été son enthousiasme pour les argumens de M. de Brunnow, qu’il les avait littéralement transmis à ses agens diplomatiques pour les répéter mot à mot et les faire valoir. Ainsi, quand le maréchal Soult disait à M. Bulwer, le 27 septembre : « Si une flotte russe paraît dans le Bosphore, une flotte