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en vigueur. Ici, au contraire, les moyens passent avant le but. C’est qu’il s’agit au fond de toute autre chose que de tracer une ligne de démarcation entre les domaines du sultan et ceux du pacha d’Égypte ; c’est que l’Angleterre veut étendre son influence en Orient, et la Russie conserver la sienne : voilà le secret du pacte qui doit s’établir. Avant de défendre la Turquie contre un pacha rebelle, les deux puissances vont se la partager. La Russie consent à livrer à l’Angleterre Alexandrie et la Méditerranée, pourvu que celle-ci lui abandonne Constantinople ; l’Angleterre prétend avoir une main sur Constantinople et une main sur Alexandrie c’est la querelle des détroits.

La proposition de M. de Brunnow, qui laissait aux escadres de l’Angleterre et de la France le soin d’exécuter le pacha, sur les côtes de la Syrie et de l’Égypte[1], et qui réservait au pavillon russe le

  1. M. de Brunnow remit à lord Palmerston, dans le courant d’octobre, un memorandum qui proposait trois degrés dans les mesures coercitives, selon le plus ou le moins de vigueur que l’on voudrait déployer dans l’exécution :

    « 1o Maximum du plan d’opération. — Déclarer à la Porte qu’elle peut compter sur la ferme résolution du gouvernement britannique d’appuyer efficacement ses intérêts. Donner à l’amiral Stopford l’ordre : 1o de se porter avec son escadre sur la côte de la Syrie, en établissant sa station selon que la saison et les circonstances locales le lui conseilleront, dans la baie d’Iskendéroun, ou sur tel autre point qui lui présentera plus de sécurité ; 2o de détacher un nombre de vaisseaux qu’il jugera suffisant pour aller occuper, soit par surprise, soit de vive force, les ports sur la côte qui servent de principaux dépôts militaires et de communication entre l’Égypte et l’armée d’Ibrahim ; à cet effet, la situation de Lattakié et de Beyrouth semblerait d’autant plus importante, que leur voisinage des villes d’Alep et de Damas est fait pour agir sur les populations de ces villes, ainsi que sur les tribus druzes, où règne le plus de mécontentement contre l’administration oppressive du vice-roi ; 3o d’envoyer un officier supérieur au quartier-général d’Ibrahim pour lui déclarer que, s’il fait un seul pas en avant, l’Angleterre se verra obligée de regarder le pacha d’Égypte comme traître à sa parole et comme déchu de son pouvoir ; que dés-lors elle armera au nom de la Porte les populations de la Syrie tout entière, et frappera Méhémet-Ali de toute la rigueur que méritera l’infraction qu’il aurait faite aux engagemens qu’il avait pris de respecter le repos de l’Orient ; 4o de capturer tous les vaisseaux sous pavillon égyptien qui auront à bord des munitions de guerre destinées à l’armée d’Égypte. — Envoyer simultanément un officier supérieur à Alexandrie pour faire exactement la même déclaration à Méhémet-Ali, en y ajoutant de plus que, si Ibrahim marche, l’Angleterre, sans jalousie et sans méfiance aucune, sera la première à appeler la Russie au secours de la Porte.

    « 2o Medium du plan d’opération. — Déclaration rassurante à Constantinople ; ordre à l’amiral Stopford de se porter sur les côtes de la Syrie pour intercepter les communications entre ce pays et l’Égypte ; capturer les vaisseaux sous pavillon égyptien ; envoyer un officier à Ibrahim chargé d’un message comminatoire ; faire une déclaration analogue à Méhémet-Ali.