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DES AUTEURS ESPAGNOLS CONTEMPORAINS.

La même moquerie pleine de fiel règne dans la description de la Junta de Castel-o-Branco, par le même écrivain. On sait combien les Espagnols du dernier temps ont abusé des juntes, expérience politique pour réorganiser, au profit d’un parti, quelque image du groupe social qui n’existe plus. « Rien, dit Larra, n’est tel qu’une junte. Les gens qui composent la junte peuvent bien n’avoir rien à faire ; il est très possible qu’ils ne fassent jamais rien. Mais la junte n’en est pas moins la chose du monde la plus nécessaire. À peine un parti est-il né, vous le mettez dans une junte comme en nourrice, et, dès qu’il ouvre les yeux, il la voit rassemblée, ce qui n’est pas un petit avantage. Presque toujours la formation de la junte précède la naissance du parti. Cette espèce de junte va courant les chemins, tantôt interceptant, tantôt interceptée, quelquefois prenant l’air ou prenant des bourses en dehors du royaume ; il faut que les juntes prennent toujours quelque chose.

« Commençons par nous occuper de la junte de Castel-o-Branco[1]. La nuit tombait et l’horizon s’obscurcissait, lorsqu’un Espagnol du temps passé, un de ceux qui ne s’embarrassent guère des choses politiques et qui disent : Me gouverne qui voudra, il faudra bien que, de manière ou d’autre, je sois gouverné ! traversa Castel-o-Branco. Que venait-il y faire ? il serait long de le déterminer. Quoi qu’il en soit, au milieu du chemin, il fut arrêté par un Portugais qui, d’une voix troublée et avec une physionomie de cause perdue, lui dit : — Ohé ! Castillan, êtes-vous vassal du seigneur roi Charles V ? Venez-vous de Castille ? — Notre Espagnol entendait un peu mieux le portugais que les affaires d’état. D’une voix posée et d’un air tranquille, il lui répondit : — Je ne sais pas de qui je suis vassal, et je n’ai pas envie de le savoir ; je vais à mes affaires. Je ne fais pas de rois et je n’en défais pas ; quiconque se met en route a des intérêts à ménager.

« Le Portugais commençait à se courroucer, et c’était chose redoutable ; l’Espagnol s’en aperçut ; avant que l’on jetât la maison par la fenêtre, là où il n’y avait ni maison ni fenêtre : — Ne vous fâchez pas, dit-il au Portugais ; je serai vassal de qui vous voudrez ; les gens de ma race n’ont jamais troublé l’état, c’est chose connue. Quel est donc le roi de ce pays-ci ? — Le seigneur Charles V[2]. — À la bonne heure, répliqua le Castillan ; jusqu’à ce jour, j’avais laissé régner

  1. Ville de Portugal où se rassemblèrent quelques partisans de don Carlos dans les premiers temps de l’insurrection apostolique.
  2. Don Carlos.