Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 28.djvu/769

Cette page a été validée par deux contributeurs.
765
HISTOIRE DIPLOMATIQUE DE LA QUESTION D’ORIENT.

Bosphore comme fermé aux navires russes tout aussi bien que les Dardanelles le seront aux vaisseaux des autres nations ; il consent aussi à ce que l’on insère dans la convention un article où cette règle soit posée. »

J’ai conservé religieusement, et sous la forme directe, dans l’exposé qu’on vient de lire, les termes des deux dépêches importantes qui sont les archives de ce complot. On voit avec quel art l’envoyé de l’empereur flattait lord Palmerston, entrant dans ses vues, excitant ses passions et enflammant ses espérances. Pour lever les derniers scrupules du gouvernement anglais, M. de Brunnow mit en avant un argument décisif : il déclara que, si l’Angleterre et la Russie parvenaient à s’entendre, et si la convention qu’il proposait était signée, l’empereur l’avait autorisé à dire que, dans ce cas, il ne renouvellerait pas le traité d’Unkiar-Skelessi. Il ajouta même que le gouvernement russe ne faisait pas de l’accession de la France à ces arrangemens une condition sine quâ non, et que la Russie était entièrement prête à agir sans la France, si l’on ne pouvait pas obtenir son concours, et si l’Angleterre voulait aller en avant sans cet appui.

Jusqu’à la mission de M. de Brunnow, la politique des puissances à l’égard de l’Orient flottait dans le vague. Les idées ne se présentaient qu’à l’état d’ébauche, et les plans n’étaient pas suivis d’exécution. La Russie saisit habilement le point de maturité de la question, et vint fixer toutes ces images confuses ; ce que l’Autriche avait imaginé, et ce que l’Angleterre souhaitait, elle le réduisit en système. Elle donna un corps aux mauvaises pensées qui fermentaient en Europe contre la France. Elle prit devant l’Angleterre le rôle de Méphistophélès devant Faust. On sait déjà comment lord Palmerston a évoqué la tentation ; continuons à examiner comment il y a succombé.

Ce qui distingue cette négociation de toutes celles qui l’avaient précédée, c’est qu’il y est à peine question de la difficulté territoriale, la seule qui eût occupé jusque-là les négociateurs ; M. de Brunnow n’en fait mention que pour la forme, et uniquement afin d’apprendre ou de rappeler au gouvernement anglais qu’on le laisse maître de la régler comme il l’entendra. En revanche, il discute longuement et il cherche à déterminer la part des influences ainsi que les moyens d’action. Il est aisé de comprendre que c’est là, pour deux puissances également ambitieuses, le point sérieux et capital du débat.

Dans l’ordre naturel et logique, les mesures coercitives ne viennent qu’après la déclaration des principes que l’on se propose de mettre