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HISTOIRE DIPLOMATIQUE DE LA QUESTION D’ORIENT.

titude que les représentans des autres cours ont la ferme volonté et le pouvoir de combiner avec vous les mesures d’exécution nécessaires pour obliger le pacha d’Égypte à souscrire aux termes d’une pacification que vos collègues et vous, d’accord avec la Porte, auraient unanimement reconnue comme juste et irrévocable. » (M. de Nesselrode à M. de Bouteneff, Pétersbourg, 16 août.)

Après avoir lu ce document, M. de Fiquelmont disait à lord Beauvale[1] : « Vous voyez que la Russie veut se mettre non pas devant la Porte, mais derrière elle. » En effet, la Russie s’effaçait complètement ; on eût dit qu’elle voulait se retirer de ce monde. L’empereur s’était opposé à la conférence de Vienne, sous prétexte de laisser au sultan la liberté de décider lui-même ses propres affaires. Il ouvrait la porte à un arrangement direct entre la Porte et Méhémet-Ali, en déclarant que la solution devait être d’une nature pacifique. Il éloignait enfin jusqu’à la pensée des mesures coercitives, en faisant entendre qu’on ne pouvait y procéder qu’avec l’assentiment unanime des cabinets européens ; car la Russie savait bien que la France avait formellement protesté contre ces projets de contrainte, et qu’elle en avait ainsi arrêté ou suspendu l’exécution.

Par-dessus tout, les instructions données à M. de Bouteneff étaient la négation pure et simple de la note collective du 27 juillet. Cette note, à peine connue dans l’Occident, se trouvait ainsi désavouée presque simultanément à Pétersbourg et à Paris. La démarche des cinq ambassadeurs avait couvert la Porte, mais à quel prix ! en lui retirant la direction de ses propres affaires ! Les instructions russes rétablissaient l’ordre naturel, en restituant à la Porte son initiative, et en rejetant ses alliés sur le second plan de l’action. On avait donc le droit de considérer la démarche du cabinet de Pétersbourg comme une nouvelle démonstration en faveur du statu quo.

Cependant ces paroles pacifiques n’avaient rien de sincère. Le gouvernement russe ne voulait qu’endormir l’Autriche et la France : l’Autriche, parce qu’il était assuré de la retrouver plus tard tout aussi disposée à le servir, et la France, pour l’empêcher d’agir jusqu’au moment où l’on aurait réuni contre elle tous les cabinets. La mission de M. Brunnow et celle de M. de Bouteneff sont de la même date ; l’un allait souffler la guerre à Londres, tandis que l’autre portait à Constantinople des paroles de paix. À Constantinople, la Russie se mettait derrière le sultan et à distance du péril ; à Londres, elle pressait l’Angleterre de régler avec elle, et sans même consulter la Porte, le sort

  1. Dépêche de lord Beauvale à lord Palmerston, Vienne, 9 septembre 1839.