Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 28.djvu/764

Cette page a été validée par deux contributeurs.
760
REVUE DES DEUX MONDES.

de la Russie, et qu’il avait une opinion plus juste et plus favorable des vues du gouvernement russe, voulait fortifier cette disposition et affermir la bonne intelligence qui existait si heureusement. En conséquence, l’ambassadeur russe étant absent de Londres, l’empereur avait ordonné au baron Brunnow de passer par Londres avant de se rendre à son poste à Stutgardt, afin de communiquer sans réserve avec votre seigneurie, et de lui offrir les explications les plus franches sur la politique de la Russie.

« Le comte Nesselrode dit qu’à moins de se rendre lui-même à Londres, il n’était pas possible à l’empereur d’y envoyer quelqu’un qui connût mieux les affaires extérieures et la politique de la Russie que le baron Brunnow. »

On le voit, le cabinet anglais jouait un double jeu, pour mieux prendre ses sûretés avec tout le monde. Au moment même où il accordait à la Russie la destruction de la conférence de Vienne, il demandait un dernier effort à cette conférence, et cherchait encore à s’appuyer sur l’Autriche pour engager un conflit dans la Méditerranée. En trompant la Russie, il trompait aussi l’Autriche, car il laissait croire au prince de Metternich que la direction des négociations lui était remise, et cela, lorsque l’Angleterre venait de s’attribuer, par un accord ébauché avec M. de Nesselrode, le protectorat souverain de l’Orient.

Prenons maintenant le revers de la médaille, et passons aux manœuvres de la Russie. Vers le milieu de septembre, M. de Nesselrode communiqua aux cabinets de Vienne et de Berlin les instructions données à l’ambassadeur russe à Constantinople, M. de Bouteneff. En voici les passages les plus significatifs :

« Nous ne devons et nous ne pouvons pas nous ériger en arbitres de ce qui concerne de si près l’intérêt vital de la Porte elle-même ; c’est elle seule qui doit en être juge. Dans cette persuasion, l’empereur croit devoir vous réserver toute la latitude nécessaire pour concourir, de concert avec vos collègues, à faciliter un arrangement pacifique entre la Porte et l’Égypte, et pourvu que les conditions de cette réconciliation aient obtenu la libre adhésion du sultan ; car, s’il en était autrement, vous risqueriez de faire renaître pour nous les mêmes difficultés contre lesquelles nous avons eu à lutter dans l’affaire belge, et vous rentreriez vous-même dans le cercle vicieux dans lequel la conférence de Londres s’est placée dès l’instant où elle s’est décidée à imposer au roi des Pays-Bas les conditions d’un accommodement auquel ce souverain refusait sa sanction.

« L’expérience que nous avons acquise durant cette négociation, doit vous conseiller aussi d’éviter un autre inconvénient, celui de contracter envers la Porte l’engagement prématuré d’imposer péremptoirement à Méhémet-Ali les conditions d’un arrangement définitif, à moins d’avoir acquis d’avance la cer-