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HISTOIRE DIPLOMATIQUE DE LA QUESTION D’ORIENT.

poser à de très graves conséquences, sans compromettre gratuitement une fort belle position. Dans cet état de choses, la défection de la flotte ottomane a certainement de fâcheux et très regrettables inconvéniens auxquels nous devons essayer de remédier ; mais elle ne constitue pas un de ces dangers imminens propres à justifier des mesures aussi extrêmes que celles qu’on nous propose. Cette flotte, dans les mains de Méhémet-Ali, n’est aujourd’hui qu’un dépôt, un gage à l’aide duquel il se promet d’obtenir à la fois l’investiture héréditaire de tout ce qu’il possède. La France et l’Angleterre, tout en insistant fortement sur l’invitation que nous avons déjà fait parvenir à Méhémet-Ali par nos consuls, de restituer les vaisseaux turcs, doivent sans doute prendre des mesures pour que, dans le cas peu probable où il recommencerait la guerre, il ne pût s’en faire un moyen d’attaque contre la Porte ; et le meilleur moyen peut-être de lui en ôter l’envie, c’est de lui déclarer formellement que désormais les escadres française et anglaise agiront uniquement dans le but de protéger le sultan contre ses agresseurs.

« Mais la mesure d’hostilité contre Méhémet-Ali ne faciliterait pas le plan que l’Angleterre et la France se sont proposé de concert. En détruisant l’escadre égyptienne, non-seulement nous ne donnerions pas plus de force à la Porte, mais nous n’amènerions pas le vice-roi à se désister de la moindre de ses prétentions. La puissance matérielle et morale qu’il exerce aujourd’hui sur terre rend son activité bien moins dépendante qu’on ne le suppose de ces forces maritimes. L’attaquer, lorsqu’il n’attaque pas, ce serait risquer de le pousser à quelque parti extrême.

« J’ajouterai qu’à Londres on semble trop se préoccuper de l’agrandissement de Méhémet-Ali, parce qu’on veut toujours considérer ce côté de la question sous l’aspect qu’il aurait s’il s’agissait d’un état européen. Cette politique aujourd’hui, comme dès le commencement de cette crise, doit veiller avant tout à ce que Constantinople ne reçoive de protection extérieure qu’avec notre commun concours. » (Le maréchal Soult à M. de Bourqueney, 6 août 1839.)

Lord Palmerston ne pouvait pas se rendre à ces raisons, car il était déjà d’accord avec la Russie, et il ne restait plus à régler entre eux que des détails d’exécution. Obligé de renoncer à l’agréable perspective de brûler la flotte et l’arsenal de Méhémet-Ali, il se rabattit sur un plan d’action qui devait le conduire au même résultat par des moyens moins directs, mais plus doux. Lord Palmerston adressa, le 20 août à M. Bulwer, et le 25 août à lord Beauvale, des instructions qui portaient en substance que les ordres à donner aux amiraux des escadres combinées dans la Méditerranée partiraient désormais, non plus de Londres ou de Paris, mais de Vienne, ou siégeait la conférence des ambassadeurs.

Ce point étant déjà accordé par la France, voici les mesures dont l’Angleterre réclamait l’exécution sans délai :