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HISTOIRE DIPLOMATIQUE DE LA QUESTION D’ORIENT.

Mais tout en posant une limite aux prétentions du vice-roi, le maréchal voulait qu’on lui fît de justes concessions, et il ajoutait :

« Il faut aussi que la fermeté, j’ai presque dit la sévérité des conseils, soit tempérée par un ton de modération et de bienveillance qui, tout en avertissant la prudence de Méhémet-Ali, ne blesse pas trop fortement son orgueil et son ambition. Il y aurait certainement de l’affectation à paraître croire qu’après les succès que vient de lui procurer la folle conduite de la Porte, il n’a rien à attendre de plus que ce qu’il était en droit de demander auparavant. Ce serait méconnaître l’empire des faits, les nécessités de la situation. Si le vice-roi acquérait la conviction qu’il ne doit rien espérer de l’équité des puissances, il se révolterait contre leurs représentations impérieuses, et son irritation pourrait amener des conséquences dont la seule possibilité est de nature à effrayer tout esprit prévoyant. »

À la réception de cette dépêche, qui contenait la pensée expresse et officielle du gouvernement français, il était naturel que lord Palmerston regardât comme non avenues les assertions contradictoires de lord Granville. Tout au moins devait-il demander au maréchal Soult d’expliquer encore une fois ses véritables intentions. Est-ce là ce qu’a fait lord Palmerston ? Qu’on lise ce qu’il écrit à lord Granville le 30 juillet :

« Le maréchal Soult, dans la conversation que vous me rapportez, a exprimé l’opinion que les évènemens récemment survenus dans le Levant ne devraient apporter aucun changement aux résolutions des alliés ; la dépêche adressée à M. de Bourqueney déclare, au contraire, que ces évènemens doivent modifier la conduite des puissances, et que les succès de Méhémet-Ali lui donnent droit à des conditions plus favorables que celles qu’on lui avait proposées.

« Le gouvernement de sa majesté, supposant que la dépêche a été écrite avant que la conversation eût lieu, et que la conversation, étant la dernière en date, exprime la détermination finale du gouvernement français, j’ai donc répondu à la conversation, et je n’ai pas répondu à la dépêche. Mais je crois nécessaire de faire savoir à votre excellence que le gouvernement de sa majesté, partageant complètement et entièrement les opinions exprimées par le maréchal Soult dans sa conversation avec votre excellence, n’admet pas les opinions renfermées, il est vrai, implicitement plutôt qu’exprimées dans la dépêche.

On aurait de la peine à imaginer un procédé plus comique à la fois et plus indécent. Eh quoi ! deux dépêches partent le même jour pour Londres ; l’une n’est qu’une causerie diplomatique, le rapport plus ou moins exact d’un ambassadeur ; l’autre contient la pensée réfléchie,