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DES AUTEURS ESPAGNOLS CONTEMPORAINS.

« Tel est l’aperçu des mœurs espagnoles à cette époque, innocentes autant que possible, mais toutes formalistes. Tout était de formule pour le propriétaire, le marchand, l’artisan, le riche, le noble et le plébéien. La formule dominait l’éducation de l’enfant, la matricule du professeur, le choix d’une carrière. Vous preniez un uniforme, vous vous embarquiez pour l’Amérique, et vous en reveniez sans savoir qu’il y a des antipodes, le tout suivant la formule, par respect pour la même idole. La plupart des fils de famille venaient à la cour, c’est-à-dire à Madrid, où ils passaient leur vie en solliciteurs, jusqu’à ce que leurs cheveux blanchissent, étudiant sans cesse l’almanach royal[1]. Mais de toutes les professions, la plus formaliste dans ses coutumes, ses idées et ses habitudes, a disparu devant la civilisation comme le nénuphar et les agarics disparaissent devant la culture. C’était la profession des abbés, qui ont inspiré tant de toñadillas et de saynetes, objets de curiosité, d’admiration et de divertissement pour le beau sexe, qui les considérait avec autant d’attention et de surprise que les jeunes botanistes en accordent à cette plante singulière nommée mandragore. »

Nous n’avons pas cité cette description de don Jose Somoza comme un chef-d’œuvre de style et de force comique, mais comme une preuve de la situation sociale dans laquelle l’Espagne était tombée vers 1750. À travers les deux volumes des Apuntes, vous ne trouvez que deux sentimens, le regret des temps féodaux de l’Espagne, et la révolte contre les temps monarchiques du même pays. Il paraît prouvé jusqu’à l’évidence que, d’une part, les vieilles mœurs se sont conservées dans les classes inférieures et moyennes, et que, d’une autre, la culture et l’imitation de l’Europe constitutionnelle se sont concentrées dans les classes supérieures. Qui pourrait espérer la vie politique, lorsque la tête essaie de commander ce que les membres refusent, lorsque l’une appartient à un système plutôt espéré que compris, les autres à un système pétrifié, mort et malfaisant ? De tous les symptômes le plus triste pour un peuple, c’est le mépris du passé ; ainsi l’on coupe toutes les racines de l’arbre social, et l’on empêche la sève nouvelle de vivifier le vieux tronc. Partout, et chez les esprits les plus sages comme les plus brillans de l’Espagne, vous apercevez la raillerie des vieilles mœurs. Don Mariano Jose de Larra ne cesse pas, dans les fragmens que nous avons lus, de fustiger et le siècle actuel et le siècle passé.

  1. La Guia de Forasteros.