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forcer les Dardanelles, dans le cas où une armée russe aurait été débarquée à Scutari, une note qui demandait à la Porte la faculté de concourir à la défense de Constantinople. Il est demeuré tout aussi évident que la politique de ce ministère, politique peu prévoyante à coup sûr, avait consisté à chercher un refuge contre les prétentions de l’Angleterre dans l’appui douteux du cabinet autrichien, et qu’il avait inventé, dans cette espérance, le concert européen.

À la vérité, M. Passy a produit une dépêche de M. de Bourqueney, à la date du 25 mai, antérieure par conséquent de vingt-trois jours à la proposition faite par le maréchal Soult d’établir les conférences à Vienne, et qui représente lord Palmerston comme invoquant une résolution commune des cinq puissances dans la question d’Orient ; mais il ne faut pas se prendre ici à l’identité des termes, et à côté de la lettre il convient de voir l’esprit. Le concert qu’avait suggéré lord Palmerston ne ressemblait pas le moins du monde à celui qu’a proposé le maréchal Soult.

En supposant la convenance ou la nécessité d’une intervention européenne dans les affaires de l’Orient, le sort de l’empire ottoman ne pouvait être réglé, je le sais, que par une décision commune aux cinq puissances, par un acte qui prît rang dans les précédens du droit international. Mais de quelle manière devait s’établir ce concert ? Voilà toute la question. Le gouvernement français voulait s’y présenter sans préparation et sans alliés, espérant avoir meilleur marché de l’Europe réunie que de l’Angleterre seule ; le cabinet britannique au contraire invitait la France à s’entendre avec lui avant de soumettre la difficulté aux autres cours. Il voulait que ses deux puissances occidentales unissent leurs intentions et leurs efforts[1]. En un mot, il ne rompait pas encore le faisceau, dont la France avait déjà très imprudemment relâché les liens.

Que lord Palmerston fût ou ne fût pas de bonne foi dans cette tentative, ce sera un éternel sujet de regret pour nous que notre gouvernement ne l’ait pas mieux accueillie. Les différends de la France avec l’Angleterre devaient rester une affaire domestique dans laquelle chacune d’elles, par un sacrifice égal, eût maintenu la bonne har-

  1. « Lord Palmerston est d’avis que nous nous présentions sans retard à Vienne, unis d’intention et d’efforts pour la conservation de l’empire ottoman, que nous y exposions franchement le but que nous nous proposons d’atteindre, et que nous pressions l’Autriche d’y concourir par tous les moyens en son pouvoir. Une démarche de même nature aurait lieu en même temps à Berlin. » (Dépêche de M. de Bourqueney, Londres, 25 mai 1839.)