Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 28.djvu/739

Cette page a été validée par deux contributeurs.
735
HISTOIRE DIPLOMATIQUE DE LA QUESTION D’ORIENT.

une partie de la Syrie, Damas compris. La France s’exprimait avec beaucoup de ménagemens, comme une alliée qui veut se réserver la possibilité de transiger. Déjà cependant le maréchal Soult indiquait, dans sa dépêche du 15 juin, comme M. Molé avant lui, que la concession de l’Égypte ne suffirait pas.

« La nécessité de concéder à Méhémet-Ali l’investiture héréditaire d’une partie au moins de ses possessions actuelles paraît maintenant admise d’une manière à peu près générale. On a compris qu’au point de grandeur où il est parvenu, le besoin d’assurer l’avenir de sa famille, et de la mettre, après sa mort, à l’abri des vengeances de la Porte, se fait sentir trop impérieusement à son esprit, pour qu’il puisse se livrer à des pensées vraiment pacifiques, tant qu’il n’aura pas obtenu quelque satisfaction à cet égard.

« D’un autre côté, on ne peut pas se flatter de l’espoir que la Porte consente à lui accorder ce surcroît de force morale, si, par compensation, on ne lui donne pas à elle-même quelque avantage qui lui fournisse une garantie matérielle contre les entreprises éventuelles d’un ennemi dont elle aurait ainsi accru la puissance. La nature et l’étendue de cet avantage ne sont pas faciles à déterminer. Lord Palmerston pense qu’il ne faudrait pas moins que la rétrocession de la Syrie tout entière. À Berlin, on semble admettre que le sultan pourrait se contenter d’une partie seulement de cette province. Quant à nous, monsieur, nous reconnaissons que la Porte aurait droit à une compensation réelle ; mais nous croyons que le moment d’en fixer la nature et la proportion n’est pas arrivé, qu’une question pareille ne peut être résolue que d’après des données diverses et compliquées dont l’appréciation ne peut être l’œuvre d’un moment, et que ce point doit être renvoyé au concert qui, si nos vues viennent à prévaloir, s’établira entre les puissances. »

En résumé, aucune des puissances ne s’explique d’abord ouvertement sur la question territoriale. Le gouvernement français, tout en laissant voir ses tendances, s’enveloppe de précautions oratoires, et se rabat sur des fins de non-recevoir. La Russie défend le statu quo, parce qu’elle sait bien que, dans la pensée des autres puissances, cette combinaison a fait son temps ; mais ce qu’elle désire, c’est de garder sa position d’isolement privilégié en Orient, jusqu’à ce qu’elle ait aperçu avec plus de clarté ce qu’elle pourrait gagner à un changement. L’Autriche est combattue, dans sa politique de conciliation, par l’intérêt bien positif qui la met à la remorque de la Russie. L’opinion de la Prusse est un moyen terme sur lequel cette puissance n’a pas eu le courage d’insister.

L’Angleterre, avant de donner son dernier mot sur l’Orient, avait voulu connaître les dispositions de l’Europe et surtout celles de la France. Lord Palmerston laissa ses agens sans instructions pendant les mois de mai et de juin 1839. Dans l’intervalle, il négociait avec