Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 28.djvu/734

Cette page a été validée par deux contributeurs.
730
REVUE DES DEUX MONDES.

du pacha d’Égypte ; la cession, que le sultan lui avait faite de l’Égypte créée par ses mains, et de la Syrie conquise par ses armes, était un bail à vie. De là ce système du statu quo auquel s’étaient ralliées à peu près sans exception les puissances européennes. Pendant six ans, l’Europe entière n’a eu d’autre souci que d’empêcher une collision entre les forces du sultan et celles du vice-roi ; elle s’est efforcée de retenir l’Orient dans son immobilité. L’Angleterre elle-même a concouru, non sans mauvaise humeur ni sans arrière-pensée, à cette politique de conservation. Le statu quo, malgré des tiraillemens passagers et des trahisons partielles, a été longtemps l’œuvre de tous.

Mais cet état de trêve, cet équilibre laborieusement arrangé et conservé avec la même peine, ne pouvait pas durer éternellement. Il tenait à la vie d’un homme qui avait déjà vécu au-delà de soixante-dix ans ? Que deviendrait la puissance égyptienne après la mort de Méhémet-Ali ? Ces semences de civilisation jetées sur un sol ingrat et arrosées de tant de sang devaient-elles périr avec lui ? La sécurité qu’il faisait régner jusqu’au fond de l’Arabie et du Sennaar, les établissemens civils et militaires qu’il avait fondés, l’organisation puissante qu’il avait établie, l’administration, les écoles, l’armée, la marine, la discipline hiérarchique, fallait-il laisser dissiper et détruire après lui tous ces trésors d’innovation par quelque Turc fanatique et ignorant ? Un pouvoir nouveau s’était formé entre l’Afrique et l’Asie, qui rappelait la brillante destinée des califes. Fallait-il, à la mort du fondateur, en étayer et en fortifier les bases, ou le sacrifier à ce fantôme du passé que l’on appelle encore l’unité de l’empire ottoman ?

Sur tous ces points, le doute était permis, et les intérêts pouvaient différer. On conçoit que les cabinets de l’Occident aient voulu être consultés, et qu’ils se soient partagés quant à la solution. L’équilibre de puissance à maintenir entre le sultan et Méhémet-Ali était une question purement orientale ; mais la difficulté devenait européenne du moment où il s’agissait de consacrer pour l’avenir des droits permanens, d’ériger, à côté de la dynastie ottomane, la dynastie d’un vassal.

L’intervention de la diplomatie dans les affaires de l’Orient était donc légitime, en tant qu’elle aurait pour objet de régler, du consentement des parties intéressées, les relations futures de l’Égypte avec la Turquie, et qu’elle ne prétendrait ni contraindre leur obéissance ni se substituer à leur volonté. Les puissances avaient le caractère de médiatrices et non d’arbitres. Cette médiation de l’Europe, le pacha lui-même l’avait invoquée ; mais elle devait cesser aussitôt que les