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GUERRE ET NÉGOCIATIONS DE HOLLANDE.

ferme, d’un rare désintéressement et d’un inflexible courage, ils aimaient par-dessus tout leur patrie. Corneille de Witt avait quelque chose d’altier dans sa simplicité, de dur dans son énergie ; mais il portait le dévouement à ses devoirs jusqu’au sacrifice de lui-même, la patience dans les maux jusqu’au mépris de la douleur, et il avait une intrépidité héroïque. Jean de Witt mettait plus de souplesse dans sa force et d’aménité dans sa vertu. Sobre, simple, intègre, infatigable au travail, il avait, dit un des contemporains qui l’ont le mieux connu, beaucoup de soin de sa santé et peu de sa vie[1], ce qui lui donnait le moyen de suffire à tous ses devoirs et la hardiesse de ne rien craindre. Savant du premier ordre et politique profond, il s’entretenait avec Huyghens des plus difficiles problèmes des mathématiques[2], avec Spinosa des plus hautes questions de la métaphysique, et il luttait en Europe d’habileté avec Lionne et d’influence avec Louis XIV. Il connaissait à merveille les divers intérêts des états qu’il maniait adroitement. Il savait traiter avec les hommes, sur lesquels il exerçait l’ascendant d’une raison puissante, d’une sincérité habile, d’une modération soutenue, d’une gravité honnête. Ferme dans ses résolutions sans être jamais blessant dans ses manières ou emporté dans ses paroles ; réfléchi, mais insinuant, il avait toujours sur les autres l’avantage que donnent des avis mûrement médités et des desseins conçus avec prudence. Grace à ses soins diligens, sa patrie, parvenue au plus haut degré de prospérité et de grandeur, avait été long-temps l’arbitre des négociations et la dominatrice des mers. Chef modeste, mais obéi, d’une république de provinces et de villes, il concentrait entre ses mains les ressorts compliqués de tant de pouvoirs et de volontés sans en laisser voir l’imperfection et la diversité. Cet homme habile ne s’était perdu en quelque sorte que par trop de prévoyance et de patriotisme, et il avait ruiné ses desseins en voulant mieux en assurer la longue durée. Au lieu de rester l’allié de Louis XIV dont il ne pouvait pas contenir l’ambition, puisqu’il ne disposait que d’un pays faible et ne ralliait contre lui que des princes sans accord et sans résolution, il avait essayé d’arrêter ses envahissemens et de limiter sa grandeur. Il n’avait pas vu qu’il s’exposait aux ressentimens d’un ennemi inexorable, sans se procurer des alliés sûrs. Il n’avait pas suffisamment compris qu’il précipitait sa patrie dans un péril pro-

  1. Mot de sir W. Temple sur le grand pensionnaire, qu’il avait intimement connu et avec lequel il avait conclu plusieurs négociations importantes.
  2. Entre autres ouvrages, il a fait Elementa Linearum curvarum, Leyde.