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excitée par la foule bruyante des assassins qui s’agitaient et se pressaient autour d’elles.

La cruauté du peuple devenait plus grande de moment en moment. Craignant de perdre sa proie, il voulut s’assurer que les deux frères étaient toujours dans la prison. Vers onze heures et vers midi, des officiers et quelques bourgeois, suivis d’une trentaine de mutins, montèrent auprès d’eux et constatèrent qu’ils restaient à leur merci. Jean de Witt leur parla de l’innocence de son frère et de la sienne avec une douceur persuasive qui les ébranla. À une heure, le procureur fiscal, Jean Ruisch, vint mettre auprès des prisonniers une garde de quelques bourgeois pour veiller à la sûreté du pensionnaire et du ruard, en les engageant à prendre patience jusqu’à ce que le tumulte fût apaisé. Les deux frères invitèrent les bourgeois à se mettre à table avec eux, après quoi le ruard, que la torture avait brisé, se jeta sur son lit, en robe de chambre, tandis que le grand pensionnaire, assis auprès de lui, prit la Bible, et lui en lut quelques chapitres.

Cependant la foule devenait de plus en plus impatiente. Sa fureur se tournait contre la troupe qui l’empêchait d’assouvir ses ressentimens. Les bourgeois eux-mêmes s’excitaient les uns les autres à tirer sur le comte de Tilly, dans l’espoir que ses soldats se disperseraient s’il était tué. Le comte, qui voyait une lutte sanglante prête à s’engager, sortit des rangs, s’avança seul sur le front de la compagnie bourgeoise, et dit à ses officiers : « Messieurs, si vous voulez remplir la ville de carnage, vous n’avez qu’à tirer les premiers ; mais vous pourrez bien vous en repentir. » Les bourgeois, contenus par cette fermeté, répondirent que ce n’était pas leur intention, et l’engagèrent à se retirer avec sa troupe. Mais il refusa de le faire, et les bourgeois, voyant qu’ils ne pouvaient pas l’y contraindre en l’intimidant, eurent recours à un autre moyen.

Quelques-uns d’entre eux se rendirent auprès des conseillers-députés pour leur demander de rappeler la cavalerie. Ils n’en trouvèrent que deux restés à leur poste[1], dans ce moment de trouble et de péril. Pendant qu’ils les pressaient d’éloigner les uniques défenseurs des de Witt, on vint annoncer que les matelots et les paysans des villages voisins marchaient sur La Haye pour la piller. Ce bruit servit leurs desseins, et les conseillers-députés, craignant de s’exposer eux-mêmes à la rage du peuple, firent donner à M. de Tilly l’ordre verbal

  1. MM. d’Asperen et de Bosvelt, avec le secrétaire des États, M. Van Beaumont.