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GUERRE ET NÉGOCIATIONS DE HOLLANDE.

crime, c’est qu’il n’avait subi qu’un simulacre de torture ; que les juges, malgré leur partialité envers lui, l’avaient trouvé tellement coupable, qu’ils n’avaient pas osé l’absoudre. Il ajoutait que les deux frères étaient ensemble dans la prison, et qu’il fallait se débarrasser enfin de ces deux ennemis du prince d’Orange au moment où ils en sortiraient. Le peuple soulevé par Tichelaar poussa le cri aux armes ! aux armes ! et se porta avec fureur autour de la prison. Il y trouva le carrosse de Jean de Witt, qu’il renvoya en proférant des vociférations contre le traître qu’on voulait ramener en triomphe.

Jean de Witt, alarmé de ce tumulte, essaya s’il serait encore temps pour lui de se retirer. Il se fit ouvrir la porte de la prison ; mais les bourgeois qui la gardaient lui barrèrent le passage, et le peuple, en le voyant, cria : Tirez sur lui ! tirez sur lui ! La porte fut aussitôt refermée, et Jean de Witt, devenu prisonnier à son tour, retourna auprès de son frère.

L’émotion populaire gagna toute la ville, et le nombre des furieux s’augmentait d’un moment à l’autre. Les États de Hollande, qui étaient assemblés ce jour-là pour nommer un successeur au grand pensionnaire, avertis de ce dangereux tumulte, délibérèrent sur les moyens de l’arrêter. Ils écrivirent au prince d’Orange, qui était au camp devant Alfen, pour lui demander des troupes qu’il n’envoya point. Ils chargèrent en même temps les conseillers-députés de veiller au maintien du repos public et à la sûreté des frères de Witt. Les conseillers-députés prescrivirent au comte de Tilly de se porter vers la prison avec les trois compagnies de cavalerie qui formaient la garnison de La Haye, et de contenir les séditieux. Ils donnèrent malheureusement le même ordre aux six compagnies bourgeoises, qui étaient animées des mêmes sentimens de haine et de cruauté que le peuple, et dont la présence devait augmenter le désordre et le danger. Celles-ci occupèrent les diverses avenues de la prison, et l’une d’elles se rangea devant la porte, tandis que le comte de Tilly, à la tête de ses cavaliers, se porta sur la place, en face d’elle, la sépara des autres compagnies, et les tint toutes en échec par sa courageuse contenance. Il ordonna à sa troupe d’avoir toujours l’arme haute, sans tirer un seul coup, à moins qu’elle ne fût attaquée par les bourgeois. Ces derniers, de leur côté, tinrent les mousquets posés sur la fourchette, prêts à faire feu. La cavalerie régulière et la milice bourgeoise, dont l’une voulait sauver les frères de Witt, et dont l’autre voulait les égorger, demeurèrent en présence pendant quatre heures, toujours prêtes à en venir aux mains, la première menacée, la seconde