Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 28.djvu/724

Cette page a été validée par deux contributeurs.
720
REVUE DES DEUX MONDES.

l’avait alors quitté, et s’étant rendu auprès de M. d’Albrantsweert, maître d’hôtel du prince d’Orange, de M. de Zuylestein, son oncle naturel, il avait accusé Corneille de Witt d’avoir voulu le corrompre pour qu’il tuât le stathouder. La cour de Hollande, saisie de cette accusation, envoya à Dordrecht son procureur-fiscal pour arrêter Corneille de Witt et le conduire dans les prisons de La Haye. Comme les citoyens de Dordrecht ne relevaient que du tribunal de la ville, il fallut soustraire par surprise le ruard à sa juridiction naturelle. Le dimanche 24 juillet, à midi, pendant que les magistrats et la plupart des habitans étaient au temple, le procureur-fiscal descendit chez Corneille de Witt, qui le suivit sans résistance et fut transporté à La Haye. Les magistrats de Dordrecht envoyèrent des députés pour le réclamer et se plaindre de la violation de leurs priviléges ; mais la cour de justice de Hollande ne fit point droit à leur requête.

Après avoir reçu la déposition du dénonciateur qui, conformément à la loi, demeura prisonnier, elle interrogea l’accusé, qui repoussa avec une indignation hautaine le soupçon d’un crime aussi abominable et aussi éloigné de lui. Il ajouta que, s’il avait pu imaginer un semblable dessein, il avait un bras pour l’exécuter, sans avoir besoin de celui de Tichelaar. Il n’y avait, à l’appui de l’accusation, ni preuves, ni témoins, ni vraisemblance, et il était impossible d’admettre qu’un personnage honnête et prudent comme le ruard eût pu concevoir l’idée d’un si grand attentat, et surtout n’eût pas craint, dans un entretien inattendu, d’en faire la confidence et d’en proposer l’exécution à un homme noté d’infamie et qui était son ennemi. C’est ce que ne manquèrent pas de soutenir le père, le frère, la femme, les amis du prisonnier. Ils protestèrent contre la procédure inique qui mettait la dénonciation d’un repris de justice en balance avec la parole d’un des premiers citoyens de la république. Mais la cour de Hollande, réduite alors à trois juges, les autres étant absens ou s’étant récusés, placée sous l’influence de la haine ou de la frayeur, persista dans ses poursuites. À défaut de preuves, elle espéra forcer Corneille de Witt à se reconnaître lui-même coupable, et elle décida qu’il serait soumis à la question préparatoire.

Le 18 du mois d’août, le geôlier vint lui annoncer qu’il avait ordre de ne rien lui donner à manger. Le lendemain, il fut conduit dans la salle de la question. L’exécuteur, après lui avoir demandé pardon, lui fit ôter presque tous ses vêtemens et serra d’abord fortement ses pieds entre deux planches appelées les brodequins. Les juges n’étaient point encore arrivés, dans la crainte sans