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me rendrait toujours responsable des mauvais succès. Je souhaite de tout mon cœur que les desseins du prince réussissent pour le bien de l’état, mais il a besoin d’une autre personne que moi pour le seconder. Quant à l’offre de me conserver le même crédit sous le stathoudérat, c’est la chose du monde la moins capable de m’éblouir. Je n’en ai jamais désiré que pour être mieux en état de rendre service à ma patrie ; c’est là l’unique but que je me suis toujours proposé, et je ne souhaite rien pour mon avantage particulier. Je serais indigne de la confiance que mes maîtres ont eue en moi, si je continuais de les servir par un principe si lâche et si indigne d’un honnête homme[1]. »

Il refusa donc, et il résolut même de se démettre de sa charge de grand pensionnaire. Le 4 août, se trouvant à peu près guéri de ses blessures dont la plus profonde n’était pas toutefois entièrement fermée, encore faible et pâle, il se rendit au sein des États pour accomplir cette grande résolution, et leur dit :

« Très nobles et très puissans seigneurs, il y a eu dix-neuf ans, le 30 du mois passé, que j’ai servi dans votre assemblée en qualité de pensionnaire de Hollande et de West-Frise. Pendant ce temps-là, l’état a été exposé à de grandes guerres et à d’autres calamités qui par le secours de Dieu, par la sagesse de vos nobles et grandes puissances, comme aussi par leur courage et leur conduite, ont été heureusement terminées ou surmontées. Vos nobles et grandes puissances savent très bien avec quel zèle et avec quelle étude je me suis appliqué depuis plusieurs années à détourner les occasions de mésintelligence et de rupture que nous avons maintenant avec les puissans ennemis de cet état. Elles n’ignorent pas combien de fois j’ai pris la liberté de leur représenter les malheurs qui pourraient arriver si l’on n’apportait pas sérieusement et de bonne heure les remèdes nécessaires au mal dont nous étions menacés ; mais Dieu, dans les décrets de sa sainte, bien qu’incompréhensible providence, a permis que les affaires aient empiré et que l’on en soit venu à cette guerre funeste, quoique l’état en général et la province de Hollande en particulier aient eu assez de temps pour s’y préparer et se pourvoir de toutes les choses nécessaires à une vigoureuse défense ».

Il en appela alors aux registres de l’assemblée et aux souvenirs de

  1. Samson, Histoire de Guillaume III, t. II, p. 285-286. — Histoire de Corneille et de Jean de Witt, t. II, p. 470-472.