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n’y est pas sensible, cependant comme il y a cette fois une accusation positive d’avoir détourné les deniers consacrés aux dépenses secrètes, j’ai jugé à propos, n’étant pas en état de paraître en personne dans l’assemblée de vos nobles et grandes puissances, à cause de mes blessures, de les informer sincèrement par les présentes de la vérité du fait[1]. » Il n’eut pas de peine à se justifier, car il prouva que vu, comme il le disait, le naturel méfiant de la nation, il n’avait voulu se charger du maniement d’aucuns deniers publics. Dans la noble générosité de son ame, espérant que le stathouder, qui se disait encore son ami affectionné, lui rendrait publiquement justice, comme il n’eût pas manqué de le faire envers lui, il invoqua son témoignage. Mais le prince d’Orange ne répondit à sa lettre que dix jours après l’avoir reçue. Calculant, dans cette tardive réponse, toutes ses paroles avec l’habileté froide d’un ambitieux, il laissa le grand pensionnaire sous le poids de tous les reproches qui le rendaient l’objet de la défiance et de l’animosité populaires. Il dit qu’il n’avait aucune connaissance du fait de détournement d’argent, à l’égard duquel le grand pensionnaire ne pouvait pas invoquer de meilleur témoignage que celui des députés des États. Quant à l’insuffisance des préparatifs pour la défense de la république, il répondit : que, distrait par tant d’affaires, dans ces temps malheureux, il ne lui avait pas été possible de s’engager dans la recherche des choses passées, et de savoir ce qui manquait à l’armée, et à qui en était la faute. C’est pourquoi, ajouta-t-il avec des éloges qui dans le moment semblaient ironiques, vous trouverez bien mieux la justification que vous attendez de moi dans les actions de prudence que vous avez faites[2].

De son côté, Ruyter, instruit des accusations dont Corneille de Witt avait été l’objet pendant la dernière campagne navale, le justifia publiquement dans une lettre qu’il écrivit aux États de Hollande : « Je me trouve obligé, leur dit-il, pour mon propre honneur et pour la défense de la vérité et de la justice, de déclarer dans la sincérité de mon cœur, à vos nobles et grandes puissances, que le ruard de Putten, en qualité de député et commissaire de la flotte, a vécu avec moi dans une union vraiment fraternelle et dans une amitié cordiale, sans qu’il y ait jamais eu entre nous la moindre mésintelligence ; qu’il a toujours marqué une grande ardeur d’en venir aux

  1. Son mémoire aux États est dans Basnage, t. II, p. 295-296, et dans l’Histoire de Corneille et de Jean de Witt, t. II, p. 457-463.
  2. Basnage, Annales, etc., t. II, p. 195-197.