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GUERRE ET NÉGOCIATIONS DE HOLLANDE.

la prospérité et la grandeur dont avait joui et où s’était élevée la république sous son habile administration, le détesta autant qu’elle l’avait respecté. Jugeant les intentions par les résultats, elle lui imputa tous les malheurs publics, et comme, dans les momens de désastre, elle a besoin de sacrifier quelqu’un, ses cruels emportemens se tournèrent contre lui et contre son frère.

Quelques fanatiques s’en firent les sanguinaires instrumens. Le 21 juin au soir, pendant que le grand pensionnaire travaillait dans la salle des États, où il était resté le dernier pour y terminer en ministre diligent, et selon son habitude, toutes les affaires du jour, quatre hommes l’attendirent à sa sortie pour le tuer. Il quitta la salle des États vers minuit, précédé d’un de ses serviteurs qui portait un flambeau, et suivi d’un autre qui était chargé de ses papiers. Lorsqu’il fut arrivé dans un lieu écarté, non loin de sa maison, les meurtriers fondirent sur lui, l’épée à la main. Tandis que deux d’entre eux éteignaient le flambeau et s’emparaient des papiers, les deux autres le frappèrent et l’abattirent. Il essaya de se relever et de se défendre ; mais, accablé sous leurs coups, il tomba de nouveau, et les meurtriers croyant l’avoir tué prirent la fuite. Il avait reçu quatre blessures à la tête, au cou, à l’épaule, entre les côtes, sans avoir été toutefois mortellement atteint. Il eut la force de se relever et de regagner seul sa maison[1].

Le même jour, à la même heure, quatre inconnus firent à Dordrecht une tentative semblable contre son frère. Toujours malade, Corneille de Witt, après la bataille de Solbaie[2] et l’arrivée de la flotte en Zélande, avait obtenu des États la permission de se retirer chez lui. En récompense de son héroïque dévouement, il avait trouvé à son retour les diffamations de la calomnie et les fureurs de la haine. On avait répandu dans Dordrecht le bruit qu’il n’avait pas voulu combattre la flotte ennemie, et, comme une douloureuse fluxion rhumatismale tenait l’un de ses bras immobile, on prétendait qu’il avait été blessé à la suite d’une violente contestation avec Ruyter, et que le second jour il avait empêché qu’on continuât la bataille[3]. Le peuple égaré avait pillé la maison de son vieux père, après en avoir enfoncé les portes à coups de hache. Il s’était ensuite transporté à l’Hôtel-de-

  1. Basnage, Annales, etc., t. II, p. 291-294. — Leclerc, Histoire des Provinces-Unies, t. III, p. 288-289.
  2. Nom donné à la bataille livrée dans la baie de Southwold.
  3. Lettre de Jean de Witt à Ruyter, dans l’Histoire de Corneille et de Jean de Witt, t. II, p. 497. — Basnage, Annales, etc., t. II, p. 283-284.