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GUERRE ET NÉGOCIATIONS DE HOLLANDE.

après avoir exhorté les matelots et les soldats à bien remplir leur devoir, s’assit sur un fauteuil, comme un magistrat sur son siége, entouré de ses gardes marines, la hallebarde à la main, et il resta tout le jour sous le feu de l’ennemi. Trois de ses gardes furent tués auprès de lui, il les fit jeter à la mer, et tout enveloppé de fumée il demeura calme et immobile sur le pont jusqu’à la fin de la bataille[1].

Des deux côtés on s’attribua la victoire. Les pertes furent à peu près égales. Cependant les Hollandais avaient un peu moins souffert, et Ruyter, s’étant préparé dans la nuit à une nouvelle bataille, s’avança vers la flotte anglaise qui ne parut pas disposée à l’accepter. Elle se retira, et les Hollandais qui avaient beaucoup de vaisseaux en mauvais état, firent voile vers les côtes de Zélande. Outre la gloire d’avoir résisté aux flottes de deux grandes nations, les Hollandais eurent les résultats pour eux, puisqu’ils empêchèrent les alliés d’effectuer une descente dans la Zélande qui, d’après le traité d’alliance, avait été cédée à l’Angleterre. Ruyter avait mis les côtes de la république à l’abri d’une insulte et avait empêché l’invasion maritime qui, se joignant à l’invasion territoriale, aurait rendu infaillible la ruine des Provinces-Unies.

Malgré cette grande consolation, au milieu de ses désastres, et quoique l’inondation eût ralenti, sur quelques points, la marche des troupes françaises, la république restait dans la situation la plus périlleuse. La consternation régnait partout. Jean de Witt s’était laissé atteindre par le découragement public. En apprenant l’entrée de l’armée française dans le Betaw, il s’était rendu auprès de M. Gaspard Fagel, ancien pensionnaire de Haarlem et partisan zélé du prince d’Orange, quoique Jean de Witt l’eût fait nommer, en 1670, greffier des États-Généraux[2]. Il lui avait dit avec abattement qu’il ne voyait aucun moyen de garantir la république du danger qui la menaçait, puisque les commandans des places les plus fortes les livraient lâchement et sans les défendre. M. Gaspard Fagel, qu’un caractère indomptable empêcha jusqu’au bout de désespérer, chercha à le consoler et à le ranimer. Il lui répondit que c’était dans l’orage qu’il fallait tenir ferme au gouvernail, que la république avait été réduite à de plus

  1. Manuscrit no XXVI, p. 93-99 du liv. XX de l’Histoire inédite de M. de Wicquefort. — Basnage, Annales, t. II, p. 206-208. — Vie de Jacques II, t. I, p. 240-247. — Lingard, t. XII, p. 311-315. — Lettre imprimée de H. Savile, écrite le 16 juin à bord du Prince, contenant le récit de la bataille. (Corresp. d’Angl., vol. CIII.)
  2. Manuscrit no XXVI, p. 123-124 du liv. XX de l’Histoire inédite de M. de Wicquefort. — Cerisier, Histoire générale des Provinces-Unies, t. VII, p. 265.