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Pendant que le danger s’approchait de leur frontière, qu’avaient fait les États-Généraux pour repousser une aussi formidable invasion ? Depuis vingt-quatre ans que la guerre d’indépendance contre les Espagnols était terminée, et depuis vingt-un ans que le parti militaire du stathoudérat avait succombé, à la suite même de la paix, l’armée de terre avait été extrêmement négligée. L’oligarchie bourgeoise, qui s’était rendue maîtresse du pouvoir et des affaires, avait donné ses principaux soins à l’armée de mer, sur laquelle reposaient le commerce et la vraie grandeur de la république. Il en était résulté que les Provinces-Unies avaient conservé leur supériorité maritime, et avaient perdu tout esprit militaire. Elles n’avaient point d’habiles généraux ; les officiers, choisis parmi les parens des bourguemestres qui gouvernaient les villes, n’avaient jamais servi[1]. Leur cavalerie était composée, dit Gourville de bourgeois qui ne sortaient jamais de leurs maisons, et leur infanterie ne valait guère mieux ; elle était inexpérimentée, peu nombreuse, et depuis deux ans que les Provinces-Unies étaient menacées d’une agression, elles n’avaient su prendre aucune précaution pour y résister.

Le grand pensionnaire Jean de Witt, qui gouvernait toujours la république, avait proposé à l’assemblée des États-Généraux des mesures vigoureuses. Après avoir mis tous ses soins à éviter la guerre, voyant qu’il fallait s’y résoudre, il avait voulu lever une armée considérable, prévenir l’ennemi au lieu de l’attendre, détruire ses magasins sur le Rhin, et rendre ses opérations plus difficiles et son attaque plus incertaine, en lui enlevant d’avance les ressources qu’il avait préparées de si longue main[2]. Ce plan digne d’un homme prévoyant et résolu comme le grand pensionnaire, qui avait pour habitude d’écarter d’abord le danger par la prudence, et de le surmonter ensuite par l’énergie, ne convenait pas à une assemblée dont la timidité et les espérances avaient ralenti jusqu’au bout les déterminations. Elle avait beaucoup délibéré sur la défense du territoire, mais elle n’y avait pas suffisamment pourvu. L’argent à dépenser, la responsabilité à prendre, le désaccord du parti orangiste et du parti républicain, dont l’un n’était pas encore devenu tout-à-fait le maître, et dont l’autre n’avait pas cessé de l’être entièrement, avaient retardé les plus urgentes mesures. Les levées n’avaient pas été assez promptes

  1. Mémoires de Gourville, p. 406, dans le LIIe volume de la Collection des mémoires relatifs à l’histoire de France de Petitot.
  2. Cerisier, Tableau de l’histoire générale des Provinces-Unies, t. VII, p. 240 (édition d’Utrecht, 1781, in-12).