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REVUE. — CHRONIQUE.

dant au livre de Mme de Staël, qui a négligé l’art germanique pour ne parler que de la littérature et de la société allemandes. C’est une grande prétention qui demande à être jugée, et que nous aurons à examiner en reparlant du livre de M. Fortoul.


— Nous venons de lire avec un vif intérêt un volume de M. le baron Charles Dembowski, intitulé Deux ans en Espagne et en Portugal pendant la guerre civile ; il porte pour épigraphe ce couplet espagnol :

Yo quisiera morir
Y oir mis dobles
Para vez quieu me diria
Dios te perdona.

Je voudrais mourir — et entendre mon glas funèbre, — pour voir qui me dirait : — Dieu te pardonne.

M. Dembowski n’a pas besoin de mourir pour cela, et il s’entendra dire sans la musique des cloches qu’il a fait un livre plein de détails curieux, d’aperçus caractéristiques et de descriptions sincères.

Il a visité l’Espagne à un bon et périlleux moment, où les idées nouvelles étaient aux prises avec les anciennes, et la position d’observateur impartial en dehors des deux partis lui a permis de les apprécier à leur juste valeur ; non que son livre soit particulièrement politique, mais au courant du récit se mêlent çà et là des anecdotes tantôt tragiques, tantôt plaisantes, qui donnent la physionomie des évènemens bien mieux que ne sauraient le faire de longues dissertations. L’effroyable misère de l’Aragon, le dénuement des bandes carlistes et même des christinos, aussi mal en point que leurs adversaires, leurs cruautés réciproques, tout est dépeint avec vérité et talent ; la manola le majo, le miliciano, sont des types dessinés avec beaucoup de verve et d’esprit ; la manola aux cheveux nattés en corbeille, aux jarretières brodées en devise, à la jupe courte, à l’allure hardie ; le majo avec sa tournure de matamore, sa navaja toujours au vent, sa guitare toujours au dos ; le miliciano, grand danseur de cachucha et de boléro, le zagal, le calessero, le gitano, et surtout la gitana, toutes ces figures si variées, si pittoresques, qui vont bientôt disparaître dans le flot d’une civilisation nouvelle, et qui ne vivront plus que dans les albums des peintres et les récits des voyageurs. — Toute l’Espagne est passée en revue dans une narration rapide et colorée : Saragosse, Madrid, Tolède, la Manche, l’Andalousie, et Séville, et Grenade, et Cadix, puis Lisbonne, Gibraltar, et toutes les villes du littoral. M. le baron Ch. Dembowski possède l’instinct voyageur, qui est beaucoup plus rare qu’on ne pense. Il recueille avec soin le moindre petit détail caractéristique, et apprécie les moindres nuances ; il voit les choses sous leur côté singulier et fait ressortir le côté pittoresque des mœurs. Exécutions, fêtes, cérémonies religieuses, courses de