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REVUE. — CHRONIQUE.

noble émancipation d’un peuple que ce réveil des intelligences qui ne se courbent plus que devant la raison, qui acceptent la loi parce qu’elles ont compris que la société a besoin avant tout de règle, d’ordre, de justice. Mais l’obéissance raisonnée suppose l’instruction ; sans instruction ni foi implicite dans le pouvoir, que reste-t-il pour garantir l’obéissance à la loi ? rien que la crainte : triste et insuffisante ressource, qui est sans force précisément sur ces ames énergiques, puissantes, qui, éclairées, pourraient aller si loin dans la voie du bien, qui, aveugles, se laissent entraîner dans toutes les erreurs et bravent tout pour se précipiter dans le mal. Ajoutons que dans un pays libre il n’y a réellement pas d’ignorance proprement dite. À défaut de la bonne instruction, c’est la mauvaise instruction qui s’empare des esprits. Partout où ne règne pas la vérité, règne l’erreur. Il n’y a de place vide nulle part. Le bien et le mal ont tout envahi, selon leur puissance et leurs moyens. Assurer une bonne et forte instruction, c’est donc livrer une bataille ; c’est faire une conquête, la conquête de l’ordre et de la paix publique, conquête au reste moins difficile qu’on ne le pense ; car, quoi qu’en disent quelques esprits chagrins, l’ordre social avec toutes ses conséquences est un besoin instinctif de notre nature. Et on peut déjà citer des populations, heureusement en France aussi, que l’instruction a élevées à la connaissance des devoirs sociaux au point que l’intervention coërcitive de la loi est un fait très rare au milieu de ces hommes instruits, sachant à la fois juger le pouvoir et le respecter, exiger et rendre ce qui est dû à tout enfant de la commune patrie.

À Dieu ne plaise que nous méconnaissions tout ce que la révolution de juillet a fait pour l’instruction du peuple. M. Villemain vient de présenter au roi le rapport triennal sur la situation de l’instruction primaire en France, et nous nous plaisons à répéter, avec M. le ministre de l’instruction publique, que, « dans la tendance générale des sociétés actuelles vers le bien-être et l’industrie, il est satisfaisant de pouvoir dire que nulle part, dans un intervalle aussi court, on n’a fait autant qu’en France pour l’instruction du peuple. » C’est dans ce rapport, si simple et si lumineux, qui, tout plein de faits, de chiffres, d’idées positives et pratiques, n’a pas moins conservé cette élégance et cette pureté de formes qui appartiennent à M. Villemain, qu’il faut chercher les preuves d’un résultat si honorable et si consolant pour le pays.

Une pensée philosophique a dirigé M. Villemain dans son travail. Il a voulu faire connaître à la fois l’état matériel et l’état moral des écoles. S’il nous expose d’abord quel en est le nombre et le nombre des communes qui les possèdent, et celui des élèves des deux sexes qui les fréquentent, il nous fait connaître ensuite la situation de l’instruction primaire sous le rapport des méthodes employées par les instituteurs, des livres dont on fait usage, de la condition et de la moralité des maîtres, des peines et des récompenses qu’ils ont méritées, et ainsi de suite, toujours en comparant la situation présente avec la situation de 1837, époque du dernier rapport. On peut ainsi suivre le progrès pas à pas, comparer entre elles les diverses données, et se